Chroniques

par irma foletti

Daniele Rustioni joue Strauss et Wagner
Michael Spyres, Aušrinė Stundytė, Tanja Ariane Baumgartner, etc.

Opéra national de Lyon
- 13 février 2022
Strauss et Wagner par Daniele Rustioni à l'Opéra national de Lyon
© dr

Les mélomanes sont venus de loin et en nombre, ce dimanche après-midi, pour assister aux débuts du ténor étasunien Michael Spyres en Tristan, à l’occasion du deuxième acte de l’opéra wagnérien, donné en version de concert. En préambule, c’est un autre Richard qui est joué, celui des Métamorphoses, œuvre écrite pour vingt-trois instruments à cordes. La composition, l’une des dernières de Richard Strauss (1864-1949), date de 1945, alors que plusieurs lieux européens sont rendus à l’état de champ de ruines. À l’écoute du thème qui émane d’abord des violoncelles et contrebasses, puis se développe aux autres pupitres, ce n’est pas exactement l’anéantissement qu’on entend, mais plutôt une atmosphère mélancolique, crépusculaire, qui peut rappeler certaines fins d’opéras, comme celles de Capriccio ou même du Rosenkavalier. Sous la baguette de Daniele Rustioni, l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon fait preuve de précision et de virtuosité pour les soli, en particulier ceux exécutés par le premier violon.

Le morceau de choix arrive après l’entracte. Il faut d’abord saluer l’époustouflante prestation des musiciens. Chef principal de la phalange depuis 2017, Rustioni est véritablement un très grand chef d’opéra [lire nos chroniques du 7 juin 2014, des 30 mars et 3 août 2016, du 14 août 2017, des 20 mars et 16 avril 2018, du 15 mars 2019, puis des 1er juillet, 16 juillet et 24 octobre 2021]. Il se tourne vers les solistes pour leur indiquer tous les départs et distille par ailleurs aux instrumentistes une extrême variété de nuances, sans jamais mettre les voix en difficulté. La puissance orchestrale s’échelonne ainsi entre le quasi-silence du doux passage du long duo d’amour, O sink hernieder, Nacht der Liebe, et la déflagration torrentielle des retrouvailles du couple, un peu plus tôt. Le contraste entre le son et l’image est d’ailleurs frappant, des Isolde! Geliebte! et Tristan! Geliebter! lancés à tue-tête, alors que chacun reste à bonne distance devant son pupitre, de part et d’autre du chef.

Reconnu unanimement dans Berlioz ou Rossini, et chantant encore tout récemment à Paris le Requiem de Verdi, Michael Spyres est décidemment fort éclectique en se frottant à Tristan [lire nos chroniques du 28 juin 2012, du 31 août 2014, du 11 février 2016, des 2 février, 17 avril, 29 juin et 15 septembre 2017, des 11 mars, 4 mai, 8 juillet, 15 août et 6 octobre 2018, du 25 avril 2019, puis des 12 mars et 25 septembre 2021]. Dans une très bonne qualité d’allemand, le medium est particulièrement riche et robuste, accompagné de somptueux accents barytonnaux dans les notes les plus graves. À l’autre extrémité du registre, les aigus sont en général émis avec vaillance, même si certains montrent un émail un peu moins brillant. Ce sont, à notre connaissance, également les débuts d’Aušrinė Stundytė en Isolde [lire nos chroniques de Lady Macbeth de Mzensk à Lyon et à Paris, Tannhäuser, et Das Wunder der Heliane]. Le soprano lituanien s’investit totalement dans le personnage, une femme qui bouillonne, frémit, soupire par moments. La voix est riche de couleurs, par moment un peu plus discrète quant aux notes les plus graves, mais l’interprète, comme dans certains de ses emplois passés – on pense en priorité à L’ange de feu [lire notre chronique du 26 mai 2021] – se montre littéralement incandescente dans l’aigu... une Isolde évidemment à suivre !

En Brangäne, Tanja Ariane Baumgartner dispose d’un timbre sombre et ample, projeté avec une grande puissance naturelle, sans pour autant altérer la qualité de la prononciation [lire nos chroniques de Lulu, Das Rheingold, Die Walküre, Œdipe, Tristan und Isolde, Le château de Barbe-Bleue, Serse, Les Troyens, Capriccio, Parsifal, Otello, The Bassarids à Salzbourg et à Berlin, Elektra à Salzbourg et à Genève, ainsi que de son enregistrement des Lieder d’Ervín Šulhov]. Le Marke de Stefan Cerny possède une confortable assise dans le grave ; émise avec ce qu’il faut de vibrato pour évoquer la tristesse du personnage, la voix s’avère sonore [lire nos chroniques de Koukourgi et de Peer Gynt]. Sans la même capacité de graves que celle de son confrère, le ténor Rupert Charlesworth fait une apparition marquante dans le court rôle de Melot [lire notre critique CD]. Ovation méritée aux saluts pour les solistes, le chef et les musiciens.

IF