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Chroniques
dernier épisode – La damnation de Faust
Anna Caterina Antonacci, Michael Spyres, Nicolas Courjal
À l’issue de cette vingt-et-unième édition du Festival Berlioz s’en dresse un bilan parfaitement positif, la thématique étant idéalement illustrée par une programmation tant cohérente que fantaisiste, puisque « tout est permis aux romantiques ! » concluait la note d’intention de Bruno Messina, directeur artistique de la manifestation. Après une ouverture ô combien fastueuse, la redécouverte d’œuvres rares, mais encore du répertoire du Nouveau Monde et sa quasi-installation in loco avec une franche présence latino, ces onze journées passées à La Côte-Saint-André se concluent de belle manière : le concert des jeunes du projet Démos Isère, ce matin sous la Halle médiévale, les ultimes phrases de l’intégrale Beethoven de François-Frédéric Guy [lire notre chronique du jour], enfin le désormais traditionnel Choro brésilien sous les arcades du château, à la minuit.
Mais avant, le mot de la fin revient au héros du lieu, avec sa Damnation de Faust de 1846, œuvre de la maturité mais point encore du grand âge. Loin d’inviter l’une de nos formations nationales, voire la prestigieuse auréole d’une phalange étrangère, c’est au Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz qu’est confiée la Légende dramatique Op.24. Pendant une semaine, de tout jeunes musiciens au sortir de leurs études ou encore élèves des conservatoires du Vieux Monde ont travaillé aux côtés des membres de l’orchestre Les Siècles à édifier l’exécution de ce soir. La transmission est décidément au cœur de ce festival.
Encore applaudit-on ici deux entités chorales de saine tenue, puisque le Chœur Britten (dirigé par Nicole Corti) et les Chœurs et Solistes de Lyon (dirigés par Bernard Tétu) prêtent forts gosiers aux paysans, étudiants, soldats et autres démons du conte goethéen. S’il demeure certes enthousiasmant d’entendre de frais tendrons jouer la Damnation, avouons cependant un résultat assez moyen duquel n’est peut-être pas coupable qui l’on pourrait croire. À entendre le solo d’alto, par exemple, on s’inquiètera de ce que les forces encadrant tant de bonnes volontés ne soient peut-être pas elles-mêmes suffisamment autonome pour ce faire. Car enfin, les cordes des Siècles n’ont pas changé depuis Christophe Colomb ! Sage, l’écoute se réfugie du côté de la petite harmonie, nettement plus probante.
Non seulement François-Xavier Roth connaît assurément son Berlioz mais on ne saurait douter qu’il l’aime et qu’il lui plait infiniment de le jouer. Saluons la finesse des rendus timbriques, le bel élan général, la franchise du geste musical, enfin le soin apporter à la dynamique tout au long d’une interprétation au grand souffle. Mais tout en cultivant ces indéniables qualités, le chef français n’entend pas s’embarrasser du détail et laisse sa vision d’une œuvre et son goût survoler benoîtement de criantes carences techniques qui en entravent cruellement l’appréciation (on se prend à rêver ce qu’avec une formation plus à jour un tel style pourrait livrer…).
Pour cette soirée de clôture, quatre voix en bonne forme sont au rendez-vous. Le Brander de Jean-Marc Salzmann convainc aisément pour ce qui est de l’émission et de la projection, mais un peu moins quant à la diction, avec une chanson du rat curieusement mâchée. Méphisto’ goguenard, par moments rigolard, même, Nicolas Courjal arbore un instrument d’une superbe autorité. Tout à la fois truculente et inquiétante, sa chanson de la puce scelle une belle incarnation qui bénéficie de nuances raffinées. On retrouve l’excellente Anna Caterina Antonacci, toujours terriblement vraie – « j’ai peur comme une enfant » : égarée, elle en a vraiment l’air. Après un récitatif de théâtre, de toute splendeur, la ballade du roi de Thulé suspend l’oreille à ses lèvres, à ses yeux. Enfin, d’une voix idéalement claire dotée d’une émission évidente (l’impact est très serti), d’une solide projection et d’une diction exemplaire qu’il met au service d’un chant formidablement souple, le ténor américain Michael Spyres campe un Faust de miracle, héroïque et céleste.
À l’année prochaine ! « que j’aime ce silence », comme il dit…
BB
L’intégralité de notre feuilleton au Festival Berlioz :
concert monstre, festival de l’industrie 1844, 21 août
Christophe Colomb de Félicien David, 22 août
Concerto pour piano Op.23 n°2 d’Edward MacDowell, 23 août
Des canyons aux étoiles d‘Olivier Messiaen, 24 août
Cláudio Cruz dirige l’Orquestra Jovem do Estado de São Paulo, 26 août
Hervé Billaut joue Crumb, Gershwin et MacDowell, 27 août
Concerto en sol de Ravel par Roger Muraro et Nicolas Chalvin, 27 août
entre Shakespeare et les symphonies de machines, 29 août
John Eliot Gardiner et le London Symphony Orchestra, 30 août
Beethoven par François-Frédéric Guy, Tedi Papavrami et Xavier Phillips, 23 et 31 août 2014