Chroniques

par laurent bergnach

The Bassarids | Les Bassarides
opéra d’Hans Werner Henze

operavision.eu / Komische Oper, Berlin
- 10 avril 2020
Vladimir Jurowski joue The Bassarids (1966), opéra d’Hans Werner Henze
© monika rittershaus

C’est fort de premières expériences avec la scène lyrique dans les années cinquante – Boulevard Solitude (1951), König Hirsch (1955), Der Prinz von Hombourg (1958), etc. – qu’Hans Werner Henze (1926-2012) s’attelle l’écriture de The Bassarids, d’après la pièce d’Euripide. Pour ce faire, il retrouve les librettistes d’Elegie für junge Liebende (1961), les poètes Wystan Hugh Auden et Chester Kallman. L’opéra est créé au Salzburger Festspiele le 6 août 1966, dans une traduction allemande, sous la direction de Christoph von Dohnányi. La version anglaise le serait deux ans plus tard, en 1968.

Avant d’aborder l’affrontement de Penthée et Dionysos qui est au cœur de l’histoire, retraçons la généalogie des deux cousins qui ont un même grand-père, Cadmos. Ce dernier, sur ordre d’Athéna, a semé les dents d’un dragon qu’il a jadis terrassé. Des hommes armés en sont nés, qui aidèrent à bâtir Thèbes. À l’un de ces hommes, Échion, Cadmos a donné pour femme sa fille cadette, Agavé, future mère de Penthée. Une autre fille, Sémélé, s’est éprise de Zeus. Ce dernier ne peut sauver la vie de la mortelle bernée par son épouse jalouse, mais parvient à protéger le fruit de leur amour, Dionysos. Cadmos offre à Penthée, sorti de l’enfance, le royaume de Thèbes.

À peine installé sur le trône, le jeune souverain voit une partie du peuple célébrer Dionysos par des rituels extatiques, sur le mont Cithéron. Il confie au capitaine de la garde l’arrestation des adeptes de ce culte païen – dont les Bassarides, des femmes qui doivent leur nom à la peau de renard qu’elles portent –, et découvre parmi eux sa mère Agavé et sa tante Autonoé tenues par la transe, le devin Tirésias, ainsi qu’un étranger troublant, soumis en vain à la torture. Seule Béroé, la nourrice de Penthée, reconnait en lui Dionysos. Sourd aux conseils de prudence, le jeune roi succombe à l’envoûtement du dieu sans même s’en apercevoir. Ici se glisse un intermezzo, offrant une respiration à un acte de belle longueur : on joue la pièce Le jugement de Calliope dans laquelle la muse de la poésie antique arbitre fort mal un conflit entre Vénus et Proserpine, dont le bel Adonis subira les conséquences. Penthée ne finit pas mieux : déguisé en femme pour mieux espionner les débauches du Cithéron, il est désigné comme un intrus par Dionysos et aussitôt déchiqueté par les Bassarides. Revenue vers son père avec un trophée sanglant, Agavé réalise qu’elle tient les restes de son fils. Mais la vengeance du dieu ne s’arrête pas là : il bannit la famille royale et implore Proserpine de libérer sa mère Sémélé des profondeurs de l’Hadès.

Pour cette production donnée en anglais à la Komische Oper de Berlin, du 13 octobre au 10 novembre 2019, Barrie Kosky parie sur la sobriété de l’écrin : un escalier central, flanqué d’une trentaine de musiciens et parcouru d’artistes vêtus en noir et blanc, relie une ouverture étroite, en haut de scène, au proscenium jouxtant la fosse – décors et costumes de Katrin Lea Tag. L’essentiel est dans la gestion du corps, qu’il soit pure énergie avec la présence de dix danseurs parfois masqués chorégraphiés par Otto Pichler, ou mû par un esprit troublé (l’attirance de Penthée pour son cousin, le désenvoûtement d’Agavé, etc.). S’il n’enchante pas dès l’abord, ce spectacle ne nous lâche plus dès que Dionysos enclenche sa machination.

Des chanteurs éclatants tiennent en haleine, dont certains ne découvrent pas le rôle [lire notre chronique du 19 août 2018]. En premier lieu Sean Panikkar (Dionysos), qui allie puissance de projection et délicatesse de timbre, et Günter Papendell (Pentheus), stable et vigoureux [lire nos chroniques de Medea et des Bienveillantes]. Jens Larsen (Cadmus), Tom Erik Lie (Capitaine) et Ivan Turšić (Tiresias) complètent efficacement la distribution masculine. Leurs consœurs sont tout aussi expressives : Tanja Ariane Baumgartner (Agaue) [lire nos chroniques de Lulu, Œdipe, Serse, Les Troyens, Capriccio et Otello], Vera-Lotte Böcker (Autonoe) et Margarita Nekrasova (Beroe) [lire nos chroniques du Nez, de Boris Godounov, Götterdämmerung, La légende de la ville invisible de Kitège, Eugène Onéguine et La dame de pique]. Dommage qu’une disposition peu judicieuse des micros affadisse certaines interventions solistiques et chorales – chœur maison, Vocalconsort Berlin.

Félicitons Vladimir Jurowski pour la flamboyance, au service de « la brutalité, la sensualité, l'érotisme, la peur, l'anxiété, le traumatisme, la beauté, la joie et l'extase que reflète l’extraordinaire partition de Henze », pour reprendre les mots du metteur en scène australien. Enfin, remercions une nouvelle fois le site OperaVision de permettre au mélomane, en cette période de confinement sanitaire, de s’aérer avec des ouvrages rares dans nos théâtres [lire nos chroniques du 28 mars et du 6 avril 2020].

LB