Chroniques

par jorge pacheco

Hector Berlioz | Grande messe des morts Op.5
John Eliot Gardiner dirige l’Orchestre national de France

Festival de Saint-Denis / Basilique
- 28 juin 2012
le compositeur Berlioz peint par Courbet en 1850
© dr | berlioz par courbet (1850)

Prodige de l'architecture gothique et nécropole des rois de France depuis le XIIe siècle, la splendide basilique ouvre une fois de plus ses portes à la musique pour accueillir le concert de clôture de la quarante-quatrième édition du Festival de Saint-Denis. Après le Requiem de Mozart dirigé par Colin Davis en ouverture, il y a tout juste un mois, mais aussi les merveilleux Te Deum de Charpentier et Lully exécutés dans l'édition précédente, nous nous trouvons ce soir face à une œuvre majeure du répertoire religieux français : la Grande messe des morts du tout aussi immense Hector Berlioz. L'Orchestre national de France en plein effectif et le Chœur de Radio France renforcé par le Monteverdi Choir sont dirigés par un autre grand chef britannique berliozien et francophile déclaré : John Eliot Gardiner.

L'agréable lumière de début d'été et l'ambiance festive qui nous accueillent aux portes du temple – où de nombreux paroissiens se préparent, glace en main, à visualiser paisiblement le concert sur l'écran géant disposé en plein air par l'organisation du festival, laissent place, une fois à l'intérieur, à une solennelle admiration face à l'architecture du bâtiment, ses magnifiques sculptures et vitraux. Les seize timbales alignées qui escortent le passage à l'entrée et l'imposante estrade inclinée destinée à accueillir les deux chœurs derrière l'orchestre laissent présager une soirée d'intenses ardeurs berlioziennes. L'entrée majestueuse des quatre groupes de cuivres, dont la spatialisation aux quatre coins de la salle était déjà prévue par Berlioz (en 1837), plonge l'auditoire dans un silence proche du recueillement face à l'imminence du spectacle colossal qui à lui s'offrira.

Et voici que sous la baguette précise de Gardiner les altos et les violons remplissent peu à peu l'espace hautement réverbérant avec leur timbre homogène au début du Requiem, dans un trait qui par son contour mystérieux, chromatique et ascendant, prépare les éclats tonitruants qui s'ensuivront. Mais le génie de Berlioz réside en grande partie dans son sens du drame et de l'orchestration qui en découle. Ainsi, chaque partie convoque l'effectif instrumental strictement nécessaire au propos poétique. Et ce propos est extrêmement varié. Une lourde peur face au jugement dernier semble s'installer dans le Kyrie. Les voix sont délicates et contenues dans l'imploration de la fin du mouvement où le recto tono lugubre des basses, qui revient, obsessionnel, tel une voix d'outre-tombe, est ponctué par des phrases descendantes exprimant douleur et résignation. Gardiner fait une lecture moins sombre du Dies Irae, grâce à un tempo plutôt allant et à une noblesse proche de l'héroïsme dans la déclamation du chœur. Le Tuba mirum laisse résonner puissammentla trompette du jugement final, incarnée par les quatre ensembles de cuivres spatialisés et le grondement tectonique des timbales. Malgré les évidents décalages, dus à l'éloignement entre les quatre groupes, le ciel semble s'ouvrir et le temps s'arrêter sous l'effet de cette musique exceptionnelle dont on peut sentir encore aujourd'hui l'étonnement qu'elle dut susciter dans des oreilles du XIXe siècle.

L'expression de l'immensité demeure présente dans le Rex tremendae, mais la peur s'apaise lentement vers la fin du mouvement où les cordes pianissimo ne vibrent que très discrètement. Quaerens me pour chœur a capella, que Gardiner dirige sans baguette, présente avec douceur l'espoir d'être parmi les pardonnés. Deux motifs principaux, l'un descendant et plaintif, l'autre rythmique et obsessionnel, se superposent dans une texture imitative que le chœur composite rend avec une grande transparence. Le Lacrimosa qui suit, opérant une augmentation progressive de la tension dramatique, est savamment conduit par Gardiner qui, malgré l'effort physique qu’induit le fait de diriger par une telle chaleur, ne claudique pas une seule mesure dans son soin du détail et dans la conduite expressive de chaque phrase.

L'irruption du ténor Michael Spyres, installé dans le buffet de l'orgue pour le Sanctus, donne les dernières lueurs d'héroïsme avant l'apaisement. D'une pureté admirable, directe et franche, presque cristalline, sa voix se projette sur l’auditoire et semble atteindre des hauteurs célestes, tout en restant douloureusement charnelle.

Dans l'Agnus Dei, au caractère conclusif, les accords des bois sont homogènes et équilibrés, l'orchestre entier sonnant comme un seul instrument colossal. Le chœur s'apaise progressivement jusqu'à la piété lumineuse et calme de l’ultime pianissimo.

Dans cette interprétation puissante et engagée, l'orchestre et les chœurs répondent attentivement aux détails demandés par John Elliott Gardiner qui prend des risques à chaque mesure pour pousser l'expression au niveau d'excellence. Quelle merveilleuse manière de fermer cette édition du Festival Saint-Denis qui, depuis trente-neuf ans, s'impose comme station de départ dans la saison estivale des mélomanes ! Avec ses créations, ses invités d’exception et ses emplacements empreints d'Histoire, la manifestation est un rendez-vous annuel à ne pas manquer.

JP