Chroniques

par katy oberlé

Tannhäuser
opéra de Richard Wagner

Fondazione Teatro La Fenice, Venise
- 5 février 2017
La Fenice (Venise) reprend l'atroce Tannhäuser (Wagner) de Calixto Bieito
© michele crosera

Pour la première fois qu’il dirige un opéra de Wagner, le jeune Omer Meir Wellber (trente-cinq ans) commence par Tannhäuser, ouvrage encore assez sage du futur maître de Bayreuth qui ne met pas en pratique ses rêves de grande réforme du genre. À la tête d’une fosse qui n’a pas joué l’œuvre depuis quarante-huit ans, le chef israélien prend au pied de la lettre l’AOC grand opéra romantique dont il rend bien l’écriture dans son interprétation fidèle. Les timbres suggèrent les sentiments mitigés qui entrent en collusion à ce concours de la Wartburg, accompagnant au cordeau les chanteurs comme mot à mot, avec une attention précise qui nous vaut un bel équilibre des moyens en présence. L’articulation mélodique est un ravissement de chaque instant, non seulement parce que c’est joli mais aussi parce qu’il resitue à lui seul une existence à la partition que la mise en scène combat tout le temps. L’Orchestra del Teatro La Fenice s’affirme vaillant et suit avec zèle cette baguette régulièrement invitée à le diriger.

Plus habitué aux prestations allemandes, je m’étonne de constater aujourd’hui que le Coro maison est loin d’être à la traîne dans l’exercice wagnérien. Le maestro Claudio Marino Moretti a donc su édifier un savoir que la tradition n’avait pas construit – chapeau ! On apprécie également les solistes enfants du Centro Culturale Kolbe de Mestre, tous en place. Inégale, la distribution réunie à Venise est tout de même de bon niveau. Elle est dominée par le soprano dramatique Ausrine Stundyte : le phrasé n’en finit pas, la puissance est écrasante, autant que le dévouement à obéir à la mise en scène. La sensualité de sa Vénus impressionne beaucoup. La nature aura été très généreuse avec elle ; du coup, sous le charme, on est tenté de taire les petits défauts perçus au début. Honnêtement, le grave s’appauvrit et l’aigu est souvent trop strident. Il faut dire que l’option de sauvagerie forcenée de la production ne laisse guère à la déesse loisir de nuancer.

On remarque ensuite la voix claire du baryton Christoph Pohl, Wolfram gracieux dont les accents nobles mènent une aria d’une douceur divine (O Du, mein holder Abendstern). En troisième position arrive l’Elisabeth monochrome de Liene Kinča. Il y a du volume, ça, c’est sûr ! Mais dans un mezzo-forte uniforme qui ne dit rien. Ensuite, le ténor irlandais Paul McNamara tente un rôle-titre suffisamment présent, avec des aigus solidement accrochés qui restent longtemps en oreille. Il n’est pourtant pas Heldentenor à proprement parler, mais il convainc. Ce n’est pas le cas de la basse Pavlo Balakin, Landgraf trop léger. Il n’y a rien à reprocher à son chant, souple et sain, mais ce n’est pas un rôle pour lui. On pourra discuter longuement sur le fait d’engager un jeune chanteur pour jouer l’oncle d’Elisabeth, surtout lorsque la production suggère une relation plus intime entre eux ; il n’empêche : le timbre, vraiment beau par ailleurs, ne fait pas l’affaire. J’applaudis de bon cœur Alessio Cacciamani pour son vaillant Biterolf, Mattia Denti en sûr Reinmar et le très musical Cameron Becker en Walter.

Il me faut à l’avance demander au lecteur de bien vouloir m’excuser de n’avoir pas supporté du tout la mise en scène. Il y a quelques années, j’ai vraiment cru qu’on ne pouvait pas faire pire Tannhäuser que celui de Keith Warner [lire notre chronique du 30 mars 2013]. C’était naïveté pure ! Comme le prouve celui-ci, coproduit par Berne, Gênes et Venise avec l’Opera Vlaanderen (Gand et Anvers) où il naquit à la rentrée 2015/16, le pire est toujours possible. On va encore dire que je tape sur les metteurs en scène et que mon article se place en dessous de la ceinture : que voulez-vous que je vous dise si justement un metteur en scène ne parvient jamais à voir plus haut que la boucle du ceinturon du voisin ? Vous semble-t-il possible que je vous parle des étoiles quand Elisabeth est la vénus d’Hermann, quand les Minnesänger la viole collectivement dans une joute sanglante et rituelle dont l’objet féminin est sujet à voyeurisme homosensuel, sous l’œil papa d’un tonton lubrique ?

C’est la première fois que je vois le travail de Calixto Bieito – vraisemblablement, voilà qui étonnera les snobs, mais si, c’est comme ça. Est-ce au critique d’endosser la pudeur qu’un metteur en scène n’a pas ? Pardon de me montrer questionneuse, mais à défaut d’avoir quelque chose d’intéressant à dire de ce gros délire d’ado’… Sexe, sang, inceste, et ainsi de suite, dans un ordre différent, démontrés par le viol collectif d’Elisabeth, la fixette fétichiste de Wolfram sur les chaussures de la jeune femme – je ne peux pas écrire jeune fille puisqu’ils lui sont tous passés dessus – ou encore le gourmand cunnilingus avec lequel Tannhäuser colle Vénus au plafond, etc., lumières livides et décor noir donnant la vedette à des corps brutaux. On a beau se gratter les méninges : à part une esthétique de film X des années soixante-dix, aucune cohérence habite cette proposition bête comme son slip – élément dramaturgique le plus profond du jour.

KO