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Chroniques
Die Vögel | Les oiseaux
opéra de Walter Braunfels
Une nouvelle fois, l’Opéra national du Rhin se fait pionnier dans la redécouverte d’ouvrages délaissés par la postérité. Ainsi de Die Vögel, le plus célèbre des opéras de Walter Braunfels, créé le 30 novembre 1920 au Nationatheater de Munich. L’enjeu est de taille, car, de même qu’il en fut de Franz Schreker auquel la maison donnait accès à la scène française avec Die ferne Klang il y a quelques années, le théâtre musical de compositeur rhénan fait ce soir son entrée sur le territoire. Avec la circulation de la fameuse et minuscule bête à piquants, la chose faillit ne point se faire. La veille de cette première, un soliste des pupitres des vents s’avère testé positif au Covid-19, malgré le strict respect des mesures sanitaires, parmi lesquelles figure en bonne place l’obligation nationale de vaccination, quand bien même nos autorités lui ont trouvé une appellation plus polie.
Parce qu’il est encore malaisé, sinon impossible, de faire sonner ce type d’instruments en gardant le masque, il fallut donc suspendre pour une dizaine de jours l’activité des collègues du fautif – souvenons-nous le drôle de roman de Samuel Butler où les gens malades sont convaincus de culpabilité et les truands, voleurs et autres assassins, crapules en tous genres considérées, selon une morale toute particulière, comme des âmes faibles auxquelles il convient d’apporter assistance (Erewhon or Over the range, 1872). Et l’administration de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg de partir dès lors en quête de cinq musiciens à la fois capables, intéressés et disponibles pour sauver la fosse dans une œuvre que personne n’a dans les doigts, évidemment ! Un malheur allant rarement seul, ce matin même, le jour J, une fois engagés les cinq miracles, Aziz Shokhakimov, le nouveau directeur musical de l’OPS [lire nos chroniques des 20 et 25 novembre 2020], se révèle à son tour positif au même test. Fort heureusement, la jeune Sora Elisabeth Lee, cheffe coréenne qui a rejoint l’Opéra Studio de l’OnR en septembre dernier, endossait depuis le début des répétitions le rôle d’assistant du premier ; à ce titre, il était prévu qu’elle dirigeât la représentation du 20 février, à Mulhouse. La voici au pupitre dès la première.
Bravo à la pugnacité des équipes de l’Opéra national du Rhin qui se distinguent au saut d’obstacles en assurant aujourd’hui la création française des Oiseaux, devant une corbeille d’élus et de responsables européens, en cette journée fort attendue du discours du président de la République au Conseil de l’Europe, quelque peu transformé en tremplin électoral intérieur où cependant il refusa de débattre des questions de politique nationale, par-delà toute logique et la vive sollicitation d’interlocuteurs inattendus. Peu importe : aucun élu jamais n’inventera de ces royaumes utopiques et éphémères, à l’instar des braves Bonespoir et Fidèlami des deux actes de Braunfels.
Typique d’un certain postromantisme des années vingt du siècle passé, qui ne prit guère goût à l’avant-garde viennoise, la facture orchestrale de Die Vögel lorgne tour à tour du côté de Wagner et de Strauss, la marque de ce dernier étant la plus évidente dans l’écriture vocale. Toutefois, la signature est nettement moins opulente que celles de Korngold, Zemlinsky ou encore Schreker, les contemporains de Walter Braunfels [lire nos chroniques de Prinzessin Brambilla, Zwei Männerchöre, Te Deum, Große Messe Op.37, enfin de Szenen aus der Leben der Heiligen Johanna au Salzburger Festspiele et à Cologne].
Une quinzaine de chanteurs, dont certains issus de l’Opéra Studio ou du Chœur de l’OnR qui se partagent les rôles les plus courts, mène la représentation à bon port. On y retrouve avec bonheur Christoph Pohl en Huppe, d’abord un peu effacé puis de plus en plus présent [lire nos chroniques de Capriccio, Tannhäuser, Les Troyens, Parsifal, Beatrice Cenci et Tristan und Isolde], et l’excellent Josef Wagner en Prométhée, fidèle à lui-même [lire nos chroniques de The Rake’s Progress, Neues vom Tage, Turandot, Christophe Colomb, Die Zauberflöte et Das Wunder der Heliane]. Le soprano Marie-Eve Munger campe un Rossignol à l’exquise agilité, de même que Julie Goussot livre une belle prestation vocale en Roitelet attachant. On remarque également l’indéniable autorité de Young-Min Suk en Zeus, la voix ample du baryton-basse Antoin Herrera-López Kessel en Aigle, quand Cody Quattlebaum ne convainc pas vraiment en Fidèlami qu’il sert d’un timbre assez terne. La voix du jour est celle de Tuomas Katajala, ténor clair très incisif dont l’art du phrasé et la musicalité de chaque instant emportent les suffrages.
Sans doute n’est-il guère facile de mettre en scène Die Vögel, avec ses multiples rebondissements et l’indicible faconde de ses ensembles vocaux. En invitant la comédie d’Aristophane dans un gris open space d’aujourd’hui, sans ailes ni autres plumes que des tonnes de papier moulu, Ted Huffman [lire nos chroniques d’A midsummer night's dream, Madama Butterfly et Il trionfo del tempo e del disinganno] traite, certes, le sujet – à ce chapitre, il répond à sa mission. Mais son travail, pour clairement justifié qu’il se trouve par un entretien publié dans la brochure de salle, entrave l’abord de l’œuvre. Dans une sphère culturelle où celle-ci se trouve au moins jouée de temps à autres, où elle est presque connue pour avoir fait l’objet de plusieurs productions [lire notre chronique du 31 octobre 2020], peser de si lourde griffe n’a guère d’importance – au contraire : il s’agit alors de sainement renouveler l’approche qu’on en peut avoir. Mais en France où pour la toute première fois l’on donne un opéra de Braunfels, cette proposition, animée dans le décor d’Andrew Lieberman et les vêtures de Doey Lüthi sous les lumières de Bernd Purkrabek, tombe à plat.
Mention spéciale aux artistes du Chœur de l’Opéra national du Rhin, préparés par Alessandro Zuppardo, pour leur vaillance toujours minutieusement dosée.
BB