Chroniques

par laurent bergnach

Die Vögel | Les oiseaux
opéra de Walter Braunfels

staatsoper.de / Bayerische Staatsoper, Munich
- 31 octobre 2020
Ingo Metzmacher joue Die Vögel (1920), l'opéra de Walter Braunfels
© wilfried hösl

Détourné d’études respectables (droit, économie) par sa découverte de Wagner, Walter Braunfels (1882-1954) apprend finalement la musique entre Munich, Francfort et Vienne, en particulier le piano (James Kwast, Theodor Leschetizki) et la composition (Felix Mottl, Ludwig Thuille). Alors connu comme pianiste émérite, puis premier directeur de la Hochschule für Musik de Cologne, le Hessois d’origine reste aujourd’hui célèbre pour son travail vocal, tout particulièrement sur la scène lyrique [lire nos critiques de Te Deum, Zwei Männerchöre, puis de Prinzessin Brambilla et Szenen aus der Leben der Heiligen Johanna à Cologne et Salzbourg].

Avant le purgatoire des années trente, dû à sa demi-judéité plus qu’à un art sans menace, Braunfels connaît un beau succès avec Die Vögel, opéra en deux actes élaboré entre 1913 et 1919, puis créé au Staatstheater de Munich, le 30 novembre 1920, sous la battue de Bruno Walter. Le compositeur a rédigé lui-même le livret : une libre adaptation de la comédie éponyme du Grec Aristophane (c.445-c.380), donnée en 414 av. J.-C.

Rossignol occupe le Prologue, vantant le domaine paradisiaque des oiseaux, avant l’apparition d’Hoffegut et Ratefreund – que l’on trouve traduit par Bonespoir et Fidelami –, humains qui, déçus par la corruption alentour, ont gagnés le royaume des cieux. Le roi Huppe règne sur ce dernier, mais souffre de l’absence d’un domaine à part entière, puisque l’air appartient à tous. Ratefreund propose alors d’édifier une forteresse qui empêcherait tout contact avec les hommes et les dieux. D’abord réticents, les volatiles saisissent vite qu’il y gagneront un regain de pouvoir. Une page amoureuse entre Hoffegut et Rossignol ouvre l’Acte II, avant l’arrivée de Prometheus. Ce dernier vient raisonner les oiseaux en voie de se soulever contre les dieux. Peine perdue : une tempête envoyée par Zeus anéanti la cité et conduit les inconscients à la repentance. Ratefreund se résigne ; Hoffegut ne peut s’y résoudre.

Pour en fêter le centenaire, la Bayerische Staatsoper programme cet ouvrage plutôt rare de notre côté du Rhin. La crise sanitaire ayant compromis l’accueil du public, c’est grâce au site de l’institution munichoise que nous assistons à la première. Frank Castorf [lire nos chroniques de De la maison des morts, Das Rheingold, Die Walküre, Siegfried et Götterdämmerung] en signe la mise en scène désolante qui s’appuie sur le décor impressionnant d’Aleksandar Denić. Impressionnant de vacuité, pour tout dire, car à quoi bon cette tournette portant une semi-friche urbaine (palissades et escaliers, bâches de plastique, etc.) qui ne peint peut-être que la laideur capitaliste ? Ces clins d’œil lamentables à Hitchcock comme aux groupes rock The Byrds et The Eagles ? Ce tableau de Rubens ? Cet uniforme nazi ?... S’il y a un brin de signification, l’hermétisme en est soigneusement entretenu, mais nous soupçonnons plutôt qu’accumulation et gesticulation viennent combler l’absence de pensée.

Fort heureusement, la qualité des artistes lyriques aide à tenir le choc. Caroline Wettergreen (Rossignol) offre un colorature infaillible et chaleureux, sur toute la tessiture. Ses consœurs sont également fiables : Emily Pogorelc (Troglodyte), Eliza Boom (Première Grive) et Yajie Zhang (Seconde Grive). Côté masculin, Charles Workman (Hoffegut) surprend par une souplesse qu’on ne lui connaissait plus trop, tandis que Michael Nagy (Ratefreund) séduit par une ampleur sûre qu’il conserve sur la longueur. Parmi les oiseaux qu’incarnent Bálint Szabó (Aigle), George Vîrban (Flamant), Theodore Platt (Corbeau) et Günter Papendell (Huppe), ces deux derniers ont notre préférence : le premier pour sa saine projection, le second pour un timbre cuivré que n’atténuent pas les notes graves [lire nos chroniques de Medea, Les bienveillantes et The Bassarids]. Enfin, Wolfgang Koch (Prometheus) séduit par sa bonne santé vocale, source de nuances inattendues [lire nos chroniques de Lohengrin, Palestrina, Fidelio, Die Frau ohne Schatten à Salzbourg et à Munich, Die Meistersinger von Nürnberg, Dantons Tod et d’Il trittico, enfin de Parsifal à Salzbourg, Berlin et Munich].

Postromantisme oblige, la partition scintille d’échos straussiens et wagnériens, mais l’on songe aussi à Schreker, Weill ou Debussy. En fosse (relevée) avec l’orchestre maison, Ingo Metzmacher la sert avec légèreté et tendresse… à l’inverse de Castorf qui mitraille les planches de coups de talons hauts.

LB