Chroniques

par hervé könig

Die Zauberflöte | La flûte enchantée
singspiel de Wolfgang Amadeus Mozart

Vlaamse Opera, Gand
- 15 janvier 2017
L'inquiétante et passionnante Zauberflöte (Mozart) de David Hermann à Gand
© annemie augustijn

Avec les fêtes de fin d’année, l’Opéra des Flandres reprenait dès la fin de décembre une production de La flûte enchantée qui, lors de sa première en 2012, avait égosillé les hueurs. Commencer la nouvelle année lyrique par une escapade dans la brume gantoise et une matinée mozartienne à la réputation sulfureuse ne peut être que de bon augure. Et lorsque très vite l’on constate la qualité de l’équipe musicale et la cohérence de la proposition scénique, magnifiquement réalisée et animée, il devient évident que, parmi l’offre pléthorique d’opéras de par l’Europe en janvier, c’est bien ici qu’il fallait venir passer son dimanche.

Très inspiré, Jan Schweiger avance dans la partition avec un à-propos affuté. Le chef souligne le chant instrumental, l’ornement et au besoin la galanterie et ne s’encombre ni de l’obésité des sirènes de la tradition ni de l’étroit diktat des baroquistes. En fosse, les musiciens du Symfonisch Orkest Opera Vlaanderen travaillent en bonne intelligence, comme un bondissement de complicité. Le dessin général vient parler la musique du Salzbourgeois, presqu’au même titre que les dialogues avec lesquels il ne constitue plus de frontière, ce qui contribue activement à l’incursion d’un théâtre hors conventions.

Cette articulation stimulante et l’option de mise en scène, les chanteurs y font route avec une bonne volonté qui fait plaisir à voir – et à entendre ! Les choristes du Koor Opera Vlaanderen, pour commencer, dont il faut applaudir la prestation, y compris en tant que comédiens. Quant aux solistes, ils forment une équipe assez jeune dont l’énergie est traversée d’une sorte d’esprit de troupe comme on n’osait en rêver. La Reine de la nuit est franchement surmontée par Hulkar Sabirova, colorature ouzbèque qui affirme une facilité réjouissante. La tendresse du timbre de Lore Binon, soprano bruxellois d’une agilité non moindre, nous vaut une parfaite Pamina. Tenore di grazia, Kenneth Tarver donne un Tamino éclatant de santé qui nuance sans difficulté, avec beaucoup de charme. On découvre une vaillante basse russe, Evgueni Solodovnikov, qui campe adroitement trois rôles (Sprecher, erster Priester et zweiter Geharnischter), et un jeune ténor étasunien, Michael J. Scott, en Monostatos extrêmement incisif. À vingt-six ans, la Française Morgane Heyse livre une Papagena exemplaire.

On retrouve l’incroyable Josef Wagner, qui peaufine sans relâche son art au fil des ans, dans des répertoires d’une belle variété [lire nos chroniques du 8 avril 2008, du 17 décembre 2009, du 22 août 2014, des 21 avril et 3 juin 2016]. La voix du baryton-basse autrichien a encore gagné en chaleur et en endurance ! Son Papageno révèle un cuivre superlatif dans l’aigu, mais aussi un talent insoupçonné de grimpeur, d’acrobate et de funambule qui en fait un vrai performer ! Immense basse, Ante Jerkunica quitte Wagner pour Mozart avec un bel avantage [lire nos chroniques du 12 mars 2011, des 27 janvier, 31 juillet et 10 novembre 2013, enfin du 19 février 2016] : le Croate habite Sarastro d’un chant doux et franc qui nous le rend tout de suite attachant.

Depuis la création de sa Zauberflöte, la démarche de David Hermann fut plusieurs fois décrite, à Liège pour Les joyeuses commères de Windsor (Nicolai), à Nancy avec Iolanta (Tchaïkovski) et Armide (Lully) [lire nos chroniques du 7 mai 2013, puis des 5 février et 26 juin 2015]. Rien que par ces titres l’on apprend qu’il aime les contes. Le dernier opéra de Mozart en est un, cela ne fait aucun doute, avec le défi amoureux, la quête initiatique et tout le tremblement.

Dans les lumières très raffinées de Bernd Purkrabek, parfois étranges, comment savoir ce qui est vrai et ce qui est faux, où voir le leurre, à quels repères se fier ?... C’est exactement le problème crucial de la quête identitaire du couple Pamina/Tamino et de l’éducation de l’inquiétant homme-oiseau. L’animalité de l’être humain est questionnée, la polymorphie perverse de l’enfance, dans une aventure captivante où la référence maçonnique se dresse en terrible mur lézardé qu’il faudra bien réussir à franchir. Dans les décors très mobiles de Christof Hetzer, qui signe également les costumes, la mise en scène explose tout ce qui avait été imaginé jusque-là, propulsant le mystère dans une taxidermie bienveillante. L’Amérique est là, celle du XIXe siècle pour les survivances morales désuètes, celle d’aujourd’hui pour son hypocrite pudibonderie. L’esclavage de l’animal noble par la plus crétine des bêtes… de cette rencontre sur fond de Great Depression, que peut-il bien résulter ? David Hermann a bien compris que son rôle n’est pas d’apporter des réponses mais d’éveiller les consciences. Chapeau !

HK