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Chroniques
Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner
Outre qu’il n’est pas si fréquent d’assister coup sur coup à deux nouvelles productions de l’ultime ouvrage wagnérien sans quitter l’Hexagone, l’expérience qui consiste à en voir des conceptions radicalement opposées est plus qu’intéressante. À l’hyperstylisation présentée au Théâtre du Capitole de Toulouse par Aurélien Bory [lire notre chronique du 26 janvier 2020] répond le foisonnement de la mise en scène touffue, réalisée par Amon Miyamoto à l’Opéra national du Rhin. L’artiste japonais, dont nous avions apprécié le travail ici-même il y a deux ans [lire notre chronique de Der Tempelbrand], avance l’argument comme le rêve-refuge d’un enfant témoin de l’érotomanie de sa mère. Ainsi, durant le premier Vorspiel, le voyons-nous la surprendre dans une nudité vorace, pour ainsi dire. De là s’ensuivent de nombreux détails qui s’engendrent l’un l’autre, durant la visite d’un musée de l’Humanité bientôt perçu par le seul prisme onirique. Le petit garçon regarde son double adolescent tuer le cygne, recevoir la leçon de Gurnemanz et ainsi de suite, jusqu’au retour final à l’Eden originel, celui de nos ancêtres grands primates, en passant par le baiser coupable d’une mère abusive, parallèle du rejet par le héros de l’onctuosité hypocoristique de Kundry, manipulatrice des labyrinthes œdipiens. Bien que fort copieusement illustré et assez souvent redondant – décor de Boris Kudlicka [lire nos chroniques de Die Teufel von Loudun, Iolanta et Otello] et costumes de Kaspar Glarner [lire notre chronique de Tristan und Isolde] –, le principe de ce spectacle se tient, Miyamoto plaçant résolument son Parsifal sous le signe de la jeunesse, jusqu’en ce caricatural bombage du torse de l’acte conclusif où se love l’idéale naïveté.
À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja signe une lecture prudente, soigneusement balisée par une direction des plus lisibles. Soucieux de l’équilibre scène-fosse, tant en ce qui concerne les voix que l’impact théâtral de l’ensemble, le chef slovène, dont régulièrement nous saluons l’inspiration [lire nos chroniques des 5 avril et 9 octobre 2014, des 31 mai et 29 novembre 2018, enfin des 31 janvier et 7 février 2019], circonscrit l’inflexion dans un amble rigoureux qui s’autorise à peine quelque fougue durant l’acte médian, préférant à l’expressivité échevelée l’élévation sereine, élément de permanence spirituelle mis en œuvre, par-delà un tempo général plutôt leste, dès les premières mesures. Aussi est-ce bien dans la symphonie de Parsifal qu’on trouve ce soir la teneur mystique, à défaut de l’apercevoir sur le plateau.
Alors qu’une annonce préalable invite le public à l’indulgence à l’égard de Thomas Blondelle victime d’un refroidissement, le ténor belge incarne avec grande facilité le rôle-titre, s’inscrivant on ne peut mieux dans la jeunesse ici fêtée. La saine fraîcheur du timbre, la vaillance de l’envol et la précision de l’intonation propulsent avec avantage son interprétation – tout juste pourra-t-on supposer du courant d’air évoqué qu’il entrave peut-être la souplesse du phrasé, le chanteur s’excusant par scrupule d’un manquement qu’au fond nul ne saurait mesurer. Quoi qu’il en soit, son Parsifal satisfait pleinement [lire nos chroniques de Das Rheingold, Der fliegende Holländer, Lady Macbeth de Mzensk, Salome et L’invisible, ainsi que de son récital discographique].
Très présente au concert, Christianne Stotijn n’est pas un mezzo que l’on rencontre souvent à l’opéra [lire nos chroniques du 30 juin 2005, du 17 juin 2010, du 11 mars 2012, puis des 28 février et 3 avril 2019]. Elle prête à Kundry une voix large et veloutée, un rien voilée dans l’aigu, et une présence attachante. Le baryton Markus Marquardt [lire notre chroniques de Die Gezeichneten] est nettement moins probant en Amfortas, accusant une intonation vacillante. En revanche, Simon Bailey campe un efficace Klingsor, méphitique à souhait [lire nos chroniques de La métamorphose et des Voyages de Monsieur Brouček]. Enfin, deux basses font ici merveille : l’assise robuste et l’extrême profondeur du grain de Konstantin Gorny – on pourrait presque dire Грозный… – nous vaut un éminent Titurel [lire nos chroniques d’I puritani et de Rigoletto], tandis que l’excellentissime Ante Jerkunica livre un Gurnemanz magistralement projeté, parlant jusqu’en l’oreille de chacun avec une générosité indicible [lire nos chroniques de Die Walküre, Parsifal, Das Liebesverbot, Les Huguenots, Die Zauberflöte, La bohème et de La favorite].
Parmi les rôles secondaires, l’on remarque principalement le quatrième Écuyer de Thomas Kiechle et le premier Chevalier de Moritz Kallenberg, les Filles-Fleurs n’offrant pas cette unité attendue, comme d’une seule voix, qui distinguait la prestation toulousaine. Préparées avec soin par Alessandro Zuppardo, les artistes du Chœur de l’Opéra national du Rhin et de sa Maîtrise, dirigée par Luciano Bibiloni, portent haut cette représentation, de toute beauté chorale. La frustration toute relative de l’exécution orchestrale paraissant résulter de l’inégalité des forces vocales solistes, la proposition de Marko Letonja obéit à la sagesse. Bravo à Justin Ronsin, l’enfant Parsifal.
BB