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Chroniques
Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner
Une nouvelle production wagnérienne est toujours un événement, qui plus est lorsqu’elle a lieu en France, mieux encore en région plutôt qu’à la capitale et, enfin, s’il s’agit de l’ultime ouvrage du maître. Sans aller jusqu’à dire qu’il pleuvrait des Tristan et des Hollandais, reconnaissons la rareté de Parsifal sur nos scènes, en partie héritée de l’exclusivité bayreuthienne décidée par le compositeur lui-même. Plus d’un siècle après la levée de l’interdit, le Bühnenweihfestspiel garde la réputation d’un opus à l’abord plus difficile dont on peut imaginer qu’il intimide certains décideurs ou qu’une impopularité présupposée les inviterait à quelque prudence, quand ses contraintes majeures et bien réelles sont de réunir un sextuor solistique aguerri à ce répertoire – ce n’est pas toujours facile en terre latine –, de pallier l’exigence de l’effectif choral par l’engagement d’extras ou le renfort d’une formation associée, de planifier des services de répétition hors format, etc. Si Richard Jones signait il y a deux ans la proposition parisienne [lire notre chronique du 13 mai 2018], il en faut remonter huit pour croiser l’œuvre, alors donnée à Lyon en coproduction avec New York [lire notre chronique du 23 mars 2012].
Et voilà qu’en ce début d’année, deux institutions s’y attellent et présentent première le même jour, l’Opéra national du Rhin et le Théâtre du Capitole. À Toulouse, où Michel Plasson dirigeait une version de concert en 1987, Parsifal n’a pas foulé les planches depuis plus d’un demi-siècle : c’est assez dire la faim dans laquelle se trouve sans doute le public après avoir eu la chance, durant les années où Nicolas Joel dirigeait la maison, de voir Tristan und Isolde [lire notre chronique du 8 mars 2007], Die Meistersinger von Nürnberg [lire notre chronique du 17 juin 2006] et même un Ring intégral.
Pour ce faire, le projet fut confié à Aurélien Bory, homme de théâtre actif à Toulouse depuis deux décennies, qui livre aujourd’hui un travail minimaliste essentiellement concentré sur la lumière. Avec la complicité d’Arno Veyrat, il dessine Parsifal, tour à tour dans la proximité runique et dans une symbolisation plus ou moins évanescente qui tient lieu de solution extrême à l’acte médian (le plus dramatique). La simplicité semble le mot d’ordre de cette mise en espace où la communauté de Montsalvat arbore la pureté de crânes rigoureusement nus et la neutralité d’une mise uniforme et noire – Manuela Agnesini signe les costumes. L’intrusion du héros survient comme l’éclaboussure d’une nature sans contrainte – vêture blanche et cheveu libre mais, surtout, meurtre insouciant du cygne. Au parcours initiatique du jeune étranger coupable d’innocence (pour reprendre l’oxymore pasolinien) la scénographie de Pierre Dequivre offre l’écrin parfois presque maniéré de l’hyperstylisation dont la simple aspiration poétique rejoint l’émoi du naïf et sa compassionnelle épiphanie.
Un plateau vocal de haute tenue relève le défi avec superbe. Ainsi de Sophie Koch qui, pour la première fois, prend le rôle de Kundry, la sauvageonne. Elle lui prête l’expressivité d’un timbre parfaitement noble qui confère au personnage un mystère plus profond que les raucités habituelles. Moins enfermé que jamais dans cette gaine de velours qui, pour le meilleur comme pour le pire, caractérise sa voix, Matthias Goerne livre un Amfortas de bon aloi. D’une couleur plus égale qu’on en attend du magicien, Pierre-Yves Pruvot, baryton français applaudi dans divers répertoires [lire nos chroniques de Fando et Lis, Otello, Le marchand de Venise, Tosca et Iphigénie en Tauride], campe un Klingsor si intrinsèquement mélodique qu’il en pourra sembler trop sage – ne reprochons toutefois jamais à un artiste de bien chanter… On retrouve également Peter Rose en Gurnemanz posé, fort humain, dont le phrasé ravit l’écoute [lire nos chroniques de Tosca, Parsifal, Eugène Onéguine et Der Rosenkavalier].
Cet après-midi, la partie des six Zaubermädchen bénéficie de la réalisation idéale, Andrea Soare, Marion Tassou, Adèle Charvet, Elena Poesina, Céline Laborie et Juliette Mars formant chacune les facettes d’une seule et même voix – à l’inverse des Rheintöchter qui doivent développer trois personnalités vocales bien distinctes (Das Rheingold). Sans oublier les Écuyers François Almuzara et Enguerrand de Hys, félicitons chaleureusement les deux Chevaliers du Graal, Iouri Kissin et Kristofer Lundin, qui arborent l’autorité requises.
Le ténor autrichien Nikolaï Schukoff chante le rôle-titre depuis longtemps, au point qu’il nous paraît même s’agir, peut-être à tort, du personnage duquel il est aujourd’hui le plus familier – c’est d’ailleurs en amont des représentations lyonnaises que l’avait rencontré notre média, il y a quelques années déjà [lire notre entretien]. Loin de se reposer sur quelque impossible routine – sur ses sujets, ce que l’on croit posséder s’efface et demande à être recréé, inventé sans cesse et toujours mis à l’épreuve du feu –, l’artiste, déjà plus qu’appréciable par le passé [lire notre chronique du 14 avril 2011], gravit encore une marche, celle de l’excellence à nous valoir une incarnation évidente, dite avec une désarmante simplicité. Un naturel confondant infiltre toute l’inflexion vocale de son Parsifal, souple et vaillant sans effort, musical en soi, sans ostentation.
Conjuguant leurs forces, le Chœur de l’Opéra national de Montpellier-Occitanie, dirigé par Noëlle Gény, et le Chœur du Capitole, sous la battue d’Alfonso Caiani, de même que les jeunes voix de sa Maîtrise, signent une prestation estimable. Au pupitre de l’Orchestre national du Capitole, Frank Beermann mène la représentation dans une couleur soigneusement sertie. Si le premier acte accuse encore une respiration fragmentée qui trouvera ses marques dès la deuxième, n’en doutons pas, les suivants jouissent d’une saine fluidité, sans marquer trop l’épisode chez Klingsor.
BB