Chroniques

par katy oberlé

Rigoletto
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra national du Rhin, Strasbourg
- 8 décembre 2013
Alain Kaiser photographie le Rigoletto de Carsen à l'Opéra national du Rhin
© alain kaiser

Après des premiers pas au Festival d’Aix-en-Provence, l’été dernier, l’un des essentiels de Verdi, revu et corrigé par maestro Carsen, fait son entrée sur la scène strasbourgeoise. Et quelle entrée ! Le metteur en scène aime le théâtre dans le théâtre, on le sait, ou tout au moins a-t-il suffisamment fait pour nous en convaincre, au fil d’une carrière dont on ne saurait dire qu’elle ait su renouveler ses motifs, moins encore son inspiration. C’est sur la piste d’un cirque que s’anime la cour mantouane, cette fois, dans l’hémicycle de gradins rougeâtres où évoluait autrefois celle de Richard III [lire notre chronique du 22 janvier 2013]. Et à caresser Shakespeare il n’est malaisé à personne d’entrevoir ce que Le roi s’amuse et bien d’autres pièces de notre vieux Victor empruntèrent au Britannique. Robert Carsen n’a que faire de tout cela (pourquoi s’embarrasser ?) et, parce que « ça lui chante », transpose le drame sous les étoiles, au pays des paglacci. Après tout, c’est sa liberté d’artiste… sinon de créateur, n’exagérons pas !

Est-ce que « ça marche » ? Mettons que cela répond adroitement au fait que l’action nécessite des changements de décor, et presque tout sera dit. Une… comment ? « di-re-ction-d’a-cteurs » ? Après tout, les chanteurs n’ont qu’à se débrouiller ; ne connaissent-ils pas leur métier ?... âpre de devoir se contenter d’une mise en espace plutôt pauvre que quelques paillettes (les créatures dénudées froufroutant du croupion sont à compter dans cette catégorie) ne suffisent guère à faire vivre, pas plus que la mièvre voltige acrobatique au-dessus de la dépouille de l’héroïne – d’autant que la scène alsacienne n’a rien de celle de l’Archevêché, de sorte que l’artifice ne parvient même pas à s’y déployer un peu. Passons.

C’est donc du côté de la partition que cette fausse-première nous invite à glaner l’émotion. À commencer par le Chœur « maison », toujours impeccable, qu’on félicite tout spécialement. La fosse tient habilement son rôle, avec un Orchestre Philharmonique de Strasbourg en bonne forme, vaillamment conduit par le charismatique Paolo Carignani qu’on entendit souvent au delà du Jardin des deux rives. Indéniablement, le chef milanais aime les voix, comme le prouve le grand soin qu’il ménage à l’équilibre comme à la respiration, jamais prise en faute.

Les voix satisfont, bien que la distribution reste inégale. On retrouve avec un plaisir renouvelé la fermeté de timbre d’Ugo Rabec en Ceprano. Borsa laisse découvrir le jeune ténor Mark Van Arsdale auquel on reprochera seulement quelques coups de glotte malvenus. La couleur vocale du baryton-basse Manuel Betancourt ne manque pas de charme, mais la projection s’avère maigrelette et la ligne de chant parfois heurtée ; son Marullo ne convainc pas. À l’inverse, Scott Wilde livre un Monterone honorable, l’immense Constantin Gorny donne un luxueux Sparafucile, de même que l’excellent Dmytro Popov qui campe un Duc vocalement musclé, très brillant. Le mezzo Sara Fulgoni signe une attachante et chaleureuse Maddalena.

Reste LE couple de l’opéra, ce couple que peu de metteurs en scène abordent dans son ambiguïté. Où Nathalie Manfrino s’égare-t-elle ? Peut-être l’attend-on plus volontiers dans Massenet sur scène, quand ce n’est pas au salon, mais rien qui vaille qu’on l’ait distribuée en Gilda. L’émission tremble, la projection est à l’avenant et la présence scénique s’accommode mal de la carence de direction d’acteurs évoquée plus haut (sans conteste, de tous les chanteurs elle est celle qui semble en souffrir le plus), autant de causes qui la ternissent plus encore face au Rigoletto de George Petean, parfaitement impacté, chaleureux et généreusement investi. Voilà un chant verdien proprement exemplaire ! C’est donc pour lui qu’il faut se réjouir d’être sorti dans le froid de ce dimanche après-midi – sans doute pas pour Carsen qui fait mentir Verdi lui-même lorsqu’en découvrant le texte d’Hugo il s’écriait « avec un sujet pareil, on ne peut pas se tromper ».

KO