Chroniques

par bertrand bolognesi

Gustav Mahler | Symphonie en ut mineur n°2
Marko Letonja dirige l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg

Cathédrale Notre-Dame, Strasbourg
- 5 avril 2014
Marko Letonja répète la Deuxième de Mahler avec l'OPS, Cathédrale de Strasbourg
© grégory massat

Au gigantisme de l’inspiration mahlérienne répondirent parfois des lieux insolites, ce qu’en 1910 la création de la Huitième ne contredit certes pas. Ainsi, plutôt que l’habituelle Salle Érasme du Palais de la musique et des congrès (où est donnée la plupart de ses concerts de saison), c’est de la Cathédrale Notre-Dame que l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg (OPS) fait l’écrin de la Symphonie en ut mineur n°2. Violemment imprégnée de mysticisme germain, l’œuvre trouve assez naturellement sa place dans l’aura de la majestueuse nef, sous la secrète protection de roses figures saintes.

Pour saluer l’opportunité d’un tel choix, encore n’occultera-t-on pas l’épineuse question de l’acoustique. Il faut en effet reconnaître l’inévitable retard-écho des accords les plus impactés, la difficulté d’accompagner une voix soliste avec la liberté requise, la nécessité de marquer d’un bref point d’arrêt certaines successions de traits (césures intelligemment assumées), par exemple. Il n’est cependant qu’au plus fort de la dernière partie du cinquième mouvement que la réalisation se brouille manifestement. Car en sage, Letonja déplace sur l’inflexion d’une ciselure plus chambriste les aléas d’une écriture monumentaliste dont il bride savamment l’expression. Mais encore parvient-il à faire son avantage de ces conditions acoustiques difficiles ! À la tonicité attendue des cordes de le céder à l’onctuosité caressante – élévation heuristique s’il en est –, aux contrepoints de surgir du plus profond imaginable, aux cuivres de développer une pâte résolument organistique, enfin au chant de faire se rejoindre voûte et pavement par un charme inexplicable qui cependant va de soi.

La précision aiguë de la direction de Marko Letonja autorise cette sorte de douce folie à jouer ici la Résurrection. Passé le choc épique superfétatoire des premiers pas, musclés, de la Totenfeier, le chef slovène entretient un mystère indicible à son interprétation ; une fable indicible sous-tend ce qui s’en laisse entendre, croit-on. Dans un tempo « confortable », il engage l’Andante en Ländler brucknérien, d’une fraîcheur un rien réservée – chaleureuse timidité campagnarde, humblement aimable, qui échappe au temps. Des Antonius von Padua Fischpredigt (troisième mouvement, In ruhig fliessender Bewegung) fait valeureux behourt avant d’éteindre son thème dans un velours d’exquise tenu.

« O Röschen rot… » : au contralto d’alors verser son embaumante bergerette. Hermine Haselböck livre un Lied tout en rondeur avec lequel dialoguent la suave élégance et la sonorité délicatement « vieux style » du violon de Philippe Lindecker. L’aus der Ferne du Scherzo donne la mesure d’un espace encore plus démesuré qu’il n’y paraît, où la lumière éclaire les cuivres comme une bénédiction. Plus que le désagrément de cloches-tubes inaudibles dans la vastitude un rien bruyante du copieux tutti ou celui d’un soprano assez approximatif, retenons le fabuleux relief des harpes et, surtout, le soin accordé à l’identité de couleur entre le chœur – Chœurs de l’OPS, du Conservatoire de Strasbourg et de l’Opéra national du Rhin, efficacement préparés par Catherine Bolzinger – et les inserts de violoncelles et altos (comme un pupitre supplémentaire de basses au méreau non-vérifiable).

Émotion grand format, assurément !

BB