Chroniques

par gérard corneloup

Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner

Opéra national de Lyon
- 23 mars 2012
Parsifal, mis en scène par François Girard à l'Opéra national de Lyon
© jean-louis fernandez

« Un des plus beaux monuments sonores » pour Claude Debussy ; « une singerie du rite sacré » pour Igor Stravinski... Qui aborde l’univers, la philosophie, la musicalité de l’ultime opéra de la (roborative) production wagnérienne a l’embarras du choix quant aux qualificatifs divers et variés qui lui furent appliqués depuis sa création, il y a plus d’un siècle. Sans vouloir entrer dans la guerre des idées voire des idéaux, deux constations s’imposent… dans le simple domaine pratique : toute exécution de l’ouvrage demande des interprètes une tenue, une puissance et une endurance vocale véritablement paroxysmiques, mais aussi, parallèlement, une véritable endurance attentive de la part des spectateurs – il est vrai qu’il leur faut écouter trois actes frôlant les quatre heures de musique, entrecoupées d’entractes dépassant chacun la demi-heure. Si, pour faire bonne mesure, l’on ajoute la présence obligée d’une masse chorale d’importance et d’un orchestre des plus étoffés, on comprend assez bien la rareté relative mais réelle des reprises de Parsifal sur les grandes scènes internationales.

Berceau du wagnérisme français s’il en fut – on y donna la première (dans notre langue) des Maîtres chanteurs de Nuremberg, en 1896 –, l’Opéra de Lyon n’échappe pas au phénomène : il n’avait joué l’ouvrage dans son intégralité depuis plus d’un tiers de siècle ! Pour cette résurrection, son directeur, Serge Dorny, a frappé fort par le biais d’une coproduction avec le Metropolitan Opera (New-York) et la Canadian Opera Compagny de Toronto, le tout financièrement soutenu par la Dunard Fund USA – avec en prime, si l’on ose dire, la création de la production à Lyon, avant que d’essaimer outre-Atlantique. Ce qui, soit dit en passant, a posé bien des problèmes techniques sur la scène locale, au point d’en repousser la première de plusieurs jours.

Car François Girard, le metteur scène requis, accompagné d’un inévitable dramaturge (activité nouvelle de notre siècle, dont on se demande vraiment en quoi elle consiste vraiment), a délibérément choisi la globalité d’un regard embrassant les deux sites opposés dans lesquels évoluent les personnages et l’action. D’un côté le territoire sacré, religieux, mystique, masculin, communautaire du domaine de Montsalvat. De l’autre, le domaine charmant et charmeur du mage Klingsor, abondamment féminin et sensuel. Mais l’opposition n’est point ici seulement celle de la piété et de la sensualité ; elle est celle de deux mondes finalement assez semblables, également refermés sur eux-mêmes et leur isolement, sous les mêmes éclairages tristes élaborés par David Finn, devant les décors imposants, même dans leur solitude, imaginés par Michael Levine, sous l’égide de fascinantes, omniprésentes, voire oppressantes ombres lumineuses et évolutives occupant le fond de scène, brillamment concoctées par Peter Flaherty. Tout cela ménage de réelles beautés dramatiques lors du (très long) premier acte dont les masses chorales masculines sont placées et dirigées de main de maître.

On retrouve ces critères et leur efficacité dans le paysage désolé, délabré, déshumanisé du troisième acte. Cela fonctionne beaucoup moins bien, pour ne pas dire pas du tout, dans le II. L’idée de faire évoluer, patauger, clapoter dans un liquide rougeâtre évidemment assimilé au sang, des filles-fleurs schématisées en créatures aux longs cheveux dénoués, très « mode », et aux longues tuniques banches virant évidemment vite au rouge, oscille, entre le clin-d’œil, pour ne pas dire l’œillade appuyée et gratuite au spectateur – du style « regardez ce que je sais faire d’original en la matière » – comme un handicap acoustique pour l’équilibre sonore, entre la scène, la fosse… et lesdits clapotis. La banale « chorégraphie mouillée » de Carolyn Choa n’arrangeant vraiment pas les choses.

Musicalement, le plaisir est total. Absolu.
À commencer par la prestation impeccable des chœurs maison (renforcés ?), associant solidité, homogénéité et musicalité. Une nouvelle occasion de saluer le travail mené en la matière par Alan Woodbridge. Vocalement, la distribution est dominée haut la main par le Gurnemanz de Georg Zeppenfeld. Expression riche, bien timbrée, évolutive, vérité dramatique, sensibilité : tout y est. Le Titurel de Kurt Gysen et surtout l’Amfortas de Gerd Grochowski sont de la même veine, tout comme le solide Klingsor, le méchant de l’affaire, d’Alejandro Marco-Buhrmester. Dans le rôle-titre, Nikolaï Schukoff [lire notre dossier] possède la musicalité, le chant bien mené, bien conduit, le timbre agréable et une puissance plutôt intime. Au delà d’un sens dramatique qui peut étonner, la Kundry d’Elena Zhidkova [lire notre chronique du 7 février 2004], aux graves chauds et expressifs, souffre un peu d’un manque d’homogénéité, en particulier dans un aigu d’airain.

Mis à part l’inévitable corniste de service et ses attaques incertaines dans les actes II et III, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, lui aussi renforcé, s’avère excellent, solide autant que brillant, rompu à ce répertoire sous la baguette du maestro Kazushi Ono. Sa direction, bien meilleure que dans un concert Wagner à oublier (donné en parallèle aux représentations « parsifaliennes »), s’avère excellente, motivante, fédératrice, soucieuse aussi bien d’éclats superbes que de délicatesses extrêmes. Bref, sa conduite et sa conception labellisent ce spectacle du sceau de l’excellence. Décidément, Richard lui convient mieux que Jules (Massenet).

GC