Chroniques

par gilles charlassier

Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 13 mai 2018
Richard Jones signe le nouveau "Parsifla" (Wagner) de l'Opéra national de Paris
© opéra national de paris | émilie brouchon

Inutile de commencer notre compte-rendu par les avanies qui s'abattent sur le monde lyrique, n'épargnant pas l'Opéra Bastille, fermé pendant plus de deux semaines, suite à un incident (heureusement sans victimes) de deux câbles d'une des portes coupe-feu du plateau, qui a contraint à une vérification approfondie. De fait, la réouverture en cette matinée, à la fin du long week-end de l'Ascension, signe la première décalée de la nouvelle production de Parsifal, commandée à Richard Jones. Elle s'ouvre sur un sacrilège : un lever de rideau avant les premières notes interdit tout mysticisme du Prélude dans le noir.

Dessinée par ULTZ, la scénographie assume la parenté des actes extrêmes. L'univers de Monsalvat, avec ses translations horizontales de jardin à cour, contraste avec les mouvements, plus usuels, entre le fond et l'avant de la scène dans le repaire de Klingsor – subissant peut-être une influence mimétique du lyrisme plus traditionnel de l’Acte II. L'enceinte du Graal décline un parcours initiatique de la fontaine à la tribune du rituel, en passant par une salle commune tenant lieu de cuisines et de bibliothèque, aux étalages johanniques garnis de reliures traduisant Wort, le Verbe fondateur, dans moult langues, et qui tiennent lieu de Bible à la communauté, et le bâtiment intime avec la chambre d'Amfortas et la veillée presque végétative de Titurel à l'étage. Le regard se trouve accroché par la statue dorée surplombant la source, et plus encore par le tableau qui trône dans le réfectoire. Si l'on en juge par le smoking identique du pantin pendant la cérémonie, il s'agit très certainement d'un portrait de Titurel, le récipiendaire princeps de la miraculeuse révélation, même si la posture rappelle vaguement celle de Louis II de Bavière, tandis que l'on ne peut s'empêcher de reconnaître dans les traits une troublante ressemblance avec Stéphane Lissner – doit-on en tirer des conclusions entre le continu mécénat du prince germanique, qui rendit possible l'œuvre de Wagner, et l'actuel directeur de l'Opéra national de Paris, que d'aucuns disent espérer se voir reconduit ? La discipline de la confrérie l'apparente à des sportifs dont Gurnemanz serait l'entraîneur, une médaille à l'effigie du Graal au cou, quand le gris du pyjama d'Amfortas le désigne comme un malade souffrant, qui fera une hémorragie pendant la cérémonie – comme à chaque fois que le Graal est dévoilé – et dont on nettoiera ensuite les traces. Alors que la voix de Titurel provient des coulisses, en une sorte d'analogie théâtrale avec l'effet de profondeur du tombeau signalée dans le livret, c'est une marionnette débile, incarnée par un figurant de petite taille, que les chevaliers ont préparé dans sa chambre puis transportés à bout de bras, qui mime en scène la harangue du patriarche – on prend d’ailleurs soin de masquer au public (comme à l'assistance du rite ?) le subterfuge, jusqu'à faire parler les mains dans l'embrasure d'une cloison.

Après un premier acte plutôt monumental, le deuxième privilégie un décor changeant, mobile et sobre, plongé dans une semi-pénombre par les éclairages de Mimi Jordan Sherin. Devenu expert en manipulations biologiques pour n'avoir pu être reçu au sein du Graal, Klingsor s'occupe de jeunes pousses sous un néon jaune de laboratoire. Elles deviendront les filles-fleurs, des organismes génétiquement modifiés avec des corolles remplies d'épis de maïs, tandis que la chorégraphie de jambes tenant lieu de pistils, réglée par Lucy Burge, insiste sur la teneur sexuelle du propos, au delà de collants galbant des formes intimes explicites. Les gradins s'éloignent pour laisser dans l'intimité minimaliste d'un banc le duo entre Kundry et Parsifal, et ne reviennent que pour montrer les plantureuses créatures calcinées par l'effondrement de la magie.

Le III renoue avec l'ample décorum, cependant presque vidé de ses forces vives comme de ses ouvrages : la secte du Graal est en déshérence. L'arrivée d'un soldat casqué attise la méfiance d'un Gurnemanz sur la défensive, avec un couteau parkinsonien à la main, avant de reconnaître Parsifal, lequel accomplit la guérison d'Amfortas que la rédemption conduit à son destin, la mort, quand le nouveau prophète, accaparé par la foule idolâtre (et, pour certains, devenu aveugle), est mené hors de l'enceinte rituelle par Kundry, véritable initiatrice d'un culte nouveau. Toute l'assemblée de Montsalvat est entraînée hors scène à sa suite. Si elle suscite des interrogations, cette conclusion pourrait élucider l'année 1958 inscrite en chiffres romains sur les chasubles vertes : plutôt que la première Kundry de Crespin, ou la mort d'un homonyme du metteur en scène, c'est l'élection du pape Jean XXIII, inspirateur des réformes de Vatican II, qu'elle semble graver dans le tissu, comme charnière entre l'ancien et le nouveau monde liturgique, passage que tente de raconter ce présent Parsifal – sans nécessairement se réduire à une problématique romaine.

Dans le rôle-titre, Andreas Schager fait, d'un bout à l'autre de la représentation, primer la vaillance [lire nos chroniques du 19 avril 2016, du 25 juin 2014 et du 4 septembre 2013]. Il ne se trouve pas pris en défaut par les dimensions de Bastille, à l'inverse d'Anja Kampe, habituée du rôle [lire nos chroniques du 29 mars 2018 et du 12 mars 2011], qui séduit par sa Kundry nuancée, douée d'évidentes ressources narratives dans le duo avec le reine Tor, sans négliger les accents vindicatifs de détresse qui rappellent la Vénus deTannhäuser. Elle se laisse parfois piéger par une voix aux graves çà et là absorbés par l'acoustique de la salle [lire nos chroniques du 22 juillet 2017, du 15 septembre 2016, du 13 juin 2014, des 15 août et 12 mars 2013, du 24 avril 2012, du 4 juillet 2011, du 26 juillet 2007 et du 8 mars 2004]. Günther Groissböck affirme un Gurnemanz solide, dont l'entrée retient l'attention, mais ne semble guère évolutif au fil du drame. Peter Mattei réalise un parcours presque à l'opposé. Si l'on reconnaît d'emblée la pâte du baryton suédois [lire nos chroniques du 21 novembre 2017, du 31 octobre 2015, du 16 avril 2014, du 2 mars 2013 et du 15 mars 2012], celle-ci s'acclimate progressivement à l'idiome wagnérien pour réserver une incarnation nourrie, quoique moins complexe que d'autres entendues récemment [lire notre chronique du 1er avril 2018]. Chassé de Bayreuth il y a quelques années avant un nouveau fliegende Höllander pour une erreur de jeunesse gravée sur son corps, Evgueni Nikitin résume un robuste Klingsor paria. Titurel revient à un Reinhard Hagen sûr de son métier.

Le reste du plateau ne démérite pas.
Gianluca Zampieri et Luke Stoker se révèlent deux Chevaliers valeureux. Alisa Jordheim, Megan Marino, Michael Smallwood et Franz Gürtelschmied, s'acquittent honorablement des interventions des Écuyers. Le premier trio des Filles-fleurs (Anna Siminska, Katharina Melnikova et Samantha Gossard) forment une complémentarité attendue avec le second (Tamara Banješević, Anna Palimina et Marie-Luise Dressen), quand Daniela Entcheva distille une voix céleste vraisemblablement un peu trop slave pour être d'innocence éthérée. Préparé par José Luis Basso, le Chœur remplit honnêtement son écrasant office.

Dans la fosse, Philippe Jordan s'attache à mettre en valeur les détails de la partition, usant d'une plasticité de tempi qui ne s'affranchit guère d'une relative placidité. Le résultat frappe par sa beauté symphonique plus que par sa sensualité dramatique.

GC