Chroniques

par laurent bergnach

Otello | Othello
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra royal de Wallonie, Liège
- 20 juin 2017
Paolo Arrivabeni joue Otello (1887) à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège
© lorraine wauters

Passé la soixantaine, satisfait des succès rencontrés par ses ouvrages à travers le monde – Saint-Pétersbourg a commandé La forza del destino (1862), Paris Don Carlos (1867) et Le Caire Aida (1871) –, Giuseppe Verdi (1813-1901) se retire de la vie musicale pour réviser d’anciens travaux et régler le problème épineux de ses droits d’auteur. La politique intérieure l’inquiète depuis les funérailles de Camillo Cavour (1861), tout comme l’attriste la mort des librettistes Piave (1876) et Solera (1878) qui accompagnèrent sa longue carrière. Pas assez mondain pour aimer recevoir, il préfère voyager avec sa seconde épouse, le soprano Giuseppina Strepponi. Mais l’ennui le gagne, ainsi qu’il le confie à la comtesse Clara Maffei : « vous voulez avoir de mes nouvelles, mais je n’ai rien à dire ! Ma vie est trop stupide et trop monotone… Tous les jours c’est la même chose : ne rien faire ».

Si l’aristocrate reçut un jour dans son salon Arrigo Boito (1842-1918), parmi d’autres rebelles scapigliati qui secouèrent la vie littéraire de l’époque (1860-1880), ce n’est pas elle qui glissa le nom du poète-musicien à l’oreille de son ami compositeur, mais l’éditeur Giulio Ricordi, inquiet d’une source financière en train de se tarir. Qu’on évoque Shakespeare, puis Othello, the Moor of Venice (1604), et le natif de Roncole revient à son art salvateur, comme jadis après le décès de son amour de jeunesse, Margherita Barezzi. Cependant, il s’engage à petits pas, pour ne pas donner de faux espoirs sur l’achèvement du projet. C’est donc au terme d’une longue période d’échanges entre les deux créateurs qu’Otello voit le jour, le 5 février 1887, au Teatro alla Scala (Milan). Entre temps, des journalistes peu scrupuleux et mal informés annoncèrent que Boito regrettait de ne pouvoir mettre en musique lui-même ce nouvel opéra de Verdi, Iago

Sorti d’une récente mise en scène de Jérusalem [lire notre chronique du 23 mars 2017] pour l’institution qu’il dirige, Stefano Mazzonis di Pralafera revient à Verdi en cette fin de saison, avec six représentations données entre le 16 et 29 juin. Avec la tempête de sentiments qui n’épargne aucun des protagonistes (haine, désir, désarroi), la manipulation est l’autre pilier de l’ouvrage en quatre actes. De fait, rompant avec le réalisme général, les personnages abusés par Iago sont régulièrement « apportés » sur une petite plate-forme à roulettes, simples pantins qu’un pervers bien caché guide à sa guise. Esthétiquement, on aime l’aura picturale qui nimbe certains tableaux de foule (chatoyants costumes de Fernand Ruiz, lumières de Franco Marri), mais moins le décor de Carlo Sala qui fait cohabiter colonnes de stuc et armature métallique portant différents rideaux – ouf, la chambre offre une épure bienvenue !

Il y a peu, José Cura fut ici même un Calaf bouleversant [lire notre chronique du 27 septembre 2016]. Aujourd’hui, impérial, il est Otello, au bonheur « lié à la croix ». Admirable par sa maîtrise et sa vaillance, le ténor l’est aussi dans ses fêlures dramatiques : avec lui, sanglots et évanouissement n’ont rien de ridicule. Vibrante dans la douleur, Cinzia Forte (Desdemona) offre une Romance du saule émouvante et nuancée. D’un baryton sonore et rond, Pierre-Yves Pruvot (Iago) campe l’officier félon. À l’inverse, Giulio Pelligra (Cassio) livre un ténor vif, brillant et un rien trompetant. Avant l’expressive Alexise Yerna (Emilia) qui culmine à l’acte ultime, on aura entendu l’ample Roger Joakim (Lodovico), l’efficace Papuna Tchuradze (Roderigo), Patrick Delcour (Montano) tout en fermeté et Marc Tissons, héraut au joli timbre. Respectivement préparés par Pierre Iodice et Véronique Tollet, le Chœur maison et la Maîtrise ne déçoivent pas.

En fosse avec l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège (aux cuivres et vents particulièrement remarquables, ce soir), Paolo Arrivabeni garde d’une Ouverture apocalyptique le nerf pour électrifier le monologue-confession d’Iago comme la confrontation initiale du Maure avec sa belle. En direct sur Culturebox, ce 27 juin, on pourra apprécier le directeur musical, mais aussi dans Macbeth en juin 2018, avec le légendaire Leo Nucci.

LB