Chroniques

par bertrand bolognesi

Die Meistersinger von Nürnberg
Les maîtres chanteurs de Nuremberg

opéra de Richard Wagner
Théâtre du Capitole, Toulouse
- 17 juin 2006
Die Meistersinger von Nürnberg (Wagner) à Toulouse : un II génial !
© patrice nin

Les mélomanes wagnériens sont chanceux ! Après un Parsifal à Genève au printemps 2004 [lire notre chronique du 28 mars 2004], le Ring de Liège et deux Tristan l’année suivante (Paris et Genève), une saison 2005/06 plutôt généreuse – Tannhäuser (Genève encore), plusieurs Ring (Opéra des Flandres, Londres, Paris|Zürich et bientôt Aix-en-Provence), ils connaîtront une prochaine saison que Tristan und Isolde à Toulouse et Bruxelles, Der fliegende Holländer à Rouen, Die Meistersinger von Nürnberg à Genève, Die Walküre à Marseille, Der Ring des Nibelungen à Valencia et la reprise de Lohengrin à Bastille rendront faste. Avec la reprise toulousaine de la production des Maîtres chanteurs (2002), ce bel engouement ne sera pas déçu.

Outre une assemblée de Maîtres chanteurs plutôt équilibrée – Christer Bladin (Vogelgesang), Robert Bork (Kothner), Martin Muehle (Eislinger), Michael Nelle (Nachtigall), Hector Guedes (Ortel), Kenneth Garrison (Zorn), James Anderson (Moser) – la distribution convainc, ce qui n’est pas toujours gagné d’avance avec un tel ouvrage.

Le timbre chaleureux et la projection évidente du chant toujours bien mené d’Yvonne Wiedstrück sert confortablement une Magdalena assez drôle. Kurt Rydl, imposant au rôle toute l’autorité de son art, est un Pogner sombre et fabuleusement sonore. Attachant, le David de Rainer Trost s’avère remarquablement agile et souple, tant vocalement que physiquement, et ménage une émission égale sur toute la tessiture. Eva et Beckmesser s’avèrent un rien moins convaincants ; ce dernier (Eike Wilm Schulte) abuse volontiers du parlando et cabotine jusqu’à plus soif, tandis que l’héroïne d’Anja Harteros oppose d’étranges coquetteries aux fort grandes qualités de sa prestation. L’on goûte l’impact vocal autant que la prodigieuse souplesse, un aigu fulgurant et large qui domine copieusement le plateau et la fosse, des phrasés irréprochablement respirés et conduits, tout en constatant que la tessiture à ces divers degrés n’est pas honorée avec le même brio : la puissance impressionne à l’étage supérieur, le médium se décolore et le grave se laisse à peine deviner. On regrette également une tendance à livrer des portamentos assez déplacés dans le dernier acte.

Enfin, John Treleaven, désormais incontournable ténor wagnérien – Tristan ici, Tannhäuser là, etc. – se révèle moins nasalisé que bien souvent, offrant à Walther un chant particulièrement clair, par moment lumineux, bien que fatigué dans les derniers pas de l’Acte III (hauteur malmenée, aigu à l’arrachée…). Alan Titus incarne subtilement la bienveillance rusée de Sachs, rôle passionnant dont il livre le moindre mot avec autant d’intelligence que de sensibilité ; son monologue du premier tableau de l’acte final laisse pantois.

La mise en scène de Nicolas Joel lève son rideau sur la brumeuse lumière de l’Église Sainte Catherine où la vie surgit de partout sans encombrer jamais l’espace. Concentrant ses efforts sur le théâtre avant tout, évoluant dans les décors réalistes de Jean-Marc Stehlé et Antoine Fontaine, elle place l’action au temps de Wagner plutôt qu’au Moyen Âge, ce qui souligne la critique assénée par le compositeur aux œillères des musiciens et esthètes de son siècle. Du coup, l’on se sent un peu timide à devoir prendre des notes pendant le premier acte, tandis que le plateau défend un art de conventions… Lorsqu’à l’entracte, en ce week-end où un certain marathon occupe la ville, l’on croise un joyeux komos qui défile sur la place, la notion de convention se trouve salutairement relativisée ! Les longs dialogues souvent ennuyeux de l’Acte II bénéficient du jeu subtilement drôle entre Eva et Sachs, puis Beckmesser et Sachs, avant la fraîche apothéose d’une formidable bataille de polochons. Mais si l’on salue l’ingénieuse représentation de l’intérieur de la maison du cordonnier, à l’Acte III, on regrettera la surcharge sucrée du dernier tableau.

Mariant pompe et fluidité avec autant de souplesse que d’expressivité, Pinchas Steinberg conduit les musiciens de l’Orchestre national du Capitole dans une interprétation leste et soignée dont on goûte l’efficacité des tutti – jamais heurtés, les forte sont d’une grande profondeur – comme la délicatesse des traits solistiques (notamment le violoncelle). Bien qu’avec des ensembles masculins parfois instables dans le tableau final, la prestation du Chœur du Capitole est plutôt équilibrée et fiable.

BB