Chroniques

par vincent guillemin

Der Rosenkavalier | Le chevalier à la rose
opéra de Richard Strauss

Semperoper, Dresde
- 16 juin 2013
Der Rosenkavalier, opéra de Richard Strauss
© klaus gigga | semperoper dresden

Pour entendre Der Rosenkavalier, quel meilleur endroit au monde que Dresde, ville intimement liée au compositeur et à l’œuvre, maitrisée sur le bout des doigts par l’orchestre ? Ajoutons-y un casting de stars et le Directeur musical Christian Thielemann pour en faire une affiche particulièrement alléchante, digne des plus grandes maisons internationales.

Dès le lever de rideau, le très bel Octavian d’Elīna Garanča répond avec espièglerie aux caprices d’Anne Schwanewilms, l’une des meilleures Maréchale actuelles. Jamais Garanča ne perd son style si personnel ni n’en fait trop vocalement en donnant une nouvelle référence du rôle dans lequel nous avons tant l’habitude d’entendre la fort bonne Sophie Koch. Schwanewilms a plus de concurrence, mais elle dépasse presque toutes dans ce personnage où seuls quelques petits écarts de tons se laissent repérer par les auditeurs les plus difficiles. Troisième rôle féminin, Anna Prohaska a chanté Sophie avec Simon Rattle en décembre et remplace au pied levé Daniella Fally souffrante. Loin d’être une simple pièce rapportée, elle prouve au contraire avec aisance et simplicité qu’elle tient parfaitement sa partie sans toutefois atteindre vocalement Diana Damrau, actuellement insurpassable. Seul le duo final illustre le manque de temps qu’elle eut pour s’accorder tout à fait avec Elīna Garanča, mais le niveau reste élevé, tout comme celui du quatrième rôle féminin d’importance, Marianne, tenu avec assurance et énergie par Irmgard Vilsmaier [lire notre chronique du 16 avril 2013].

La distribution féminine quasiment idéale n’en occulte pas moins la vedette de la soirée qu’on cherchera chez les hommes : le baron Ochs de Peter Rose est un exemple d’humour à l’allemande et redonne au caractère une couleur et une force vocale peu entenduesdepuis des années. À ses côtés, le Faninal de Martin Gartner se défend plus que correctement et le Chanteur italien de Bryan Hymel rappelle un Pavarotti, plus light physiquement et vocalement, mais estde grande qualité.

Tournée ici et là depuis plusieurs années, la mise en scène d’Uwe Eric Laufenberg s’avère des plus classiques, avec les décors de Christoph Schubiger dans le style de la production d’Otto Schenck [lire notre chronique du 12 avril 2012]. Dans les deux premiers actes, elle appuie chaque effet, faisant surjouer Octavian en soubrette et Ochs pendant l’aria du Chanteur italien. Le spectacle commence réellement à l’Acte III où espace et lumières sont habilement mis en valeur, mais sur le texte lui-même rien n’est vraiment proposé et le jeu ne fait qu’accompagner l’action sans prendre aucun parti pour l’un ou l’autre des personnages, ni mettre aucun rapport de classe ou sous-entendu dans un matériau brut pourtant ultra-travaillé par Hugo von Hofmannsthal.

Alors encore directeur des Münchner Philharmoniker, Christian Thielemann mettait en 2010 la barre haute dans la production de Baden Baden. Ici, les premiers actes occasionnent cependant une grande déception musicale. Nous sommes loin d’un travail de Kappellmeister, bien sûr, et pourrions rêver d’un tel niveau dans nombre de soirées, mais ce soir n’est pas un soir de répertoire, et il semble impossible de raconter moins dans Strauss avec la Staatskapelle de Dresde qu’avec la formation bavaroise. La lourdeur de l’Acte II et le ciselage permanent du I, retenant l’orchestre en permanence dans ces élans, annule tout humour et tout lyrisme dans cette partition pourtant sublime, et ne fait même pas décoller les passages violents où l’écriture s’approche de Die Frau ohne Schatten. Pourtant, à suivre depuis longtemps ce chef on le connaît surprenant aussi : nous ne saurons quel problème cause un retard de plus de vingt minutes au retour du seconde entracte, ni pourquoi quelques musiciens arrivent au compte-gouttes avant que Thielemann revienne fort nerveux, mais tout change dès les premières mesures du III pour atteindre l’aura des plus grandes soirées. L’orchestre perd en force ce qu’il trouve en clarté, de sorte qu’un son sibyllin et chambriste conquiert et nous entraine dans la dernière heure. Le chef lâche la bride tout en restant très attentif au chœur, aux chanteurs et à la fosse. Plus lestes, ses gestes déclenchent un lyrisme et une effusion sentimentale rare qui conduisent au triomphe la tombée du rideau.

Est-ce le fantôme de Richard Strauss ou plus simplement la magie de la Semperoper ? Il est toutefois clair qu’entendre Der Rosenkavalier dans d’aussi bonnes conditions n’arrivent que rarement et promet une reprise passionnante en octobre avec une distribution différente. Aussi faudra-t-il s’intéresser aux nombreux ouvrages de Strauss joués ici la saison prochaine, à commencer par les rares Feuersnot et Guntram ou le plus connu Elektra, pour réécouter cette baguette avec une distribution comparable à celle-ci.

VG