Chroniques

par vincent guillemin

Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner

Staatsoper, Vienne
- 21 avril 2014
Parsifal (Wagner) à la Staatsoper de Vienne, en ce lundi de Pâque 2014
© michael pöhn | wiener staatsoper

Dans la production de Christine Mielitz, le Parsifal viennois n’est pas nouveau mais permet à chaque Pâques d’entendre des chefs différents et de grands chanteurs actuels dans le chef-d’œuvre de Wagner. À ne remonter que deux années en arrière, on put y entendre les directions de Christian Thielemann puis d’Ádám Fischer, remplaçant au pied levé Franz Welser-Möst, aujourd’hui bien présent dans la fosse.

Comparé à celle de ses contemporains, la lecture de l’Autrichien s’éloigne d’une vision mystique, contrairement à Daniele Gatti [lire notre chronique du 2 mars 2013], et de toute sacralité, entendue sous la battue de Fischer [lire notre chronique du 22 juin 2013]. Pour autant, elle ne s’attache pas à un développement ciselé des leitmotivs (Thielemann). Peut-être au détriment de certains climax, Welser-Möst livre une approche d’une extrême douceur et d’une grande majesté, sans jamais relâcher l’atmosphère, quatre heures durant. Très attentif, l’orchestre a toujours ce son si particulier qui n’est audible que dans cette fosse, préservé par une longue tradition encore bien ancrée. Le chœur suit le même exemple, lui aussi toujours impeccable.

Des chanteurs, commençons par celle qui a redéfini le rôle de Kundry il y a plus de vingt-cinq ans : Waltraud Meier. La grande dame demeure l’une des meilleures interprètes de ce personnage si complexe. Les notes sont presque toutes là, même si les aigus ne sont plus aussi libres qu’autrefois et si certaines phrases recourent trop à une technique parlé-chanté, révélatrice de l’altération de cette voix si incarnée. Tenu par Johan Botha, Parsifal bénéficie d’une superbe projection et fait oublier la piètre prestation de Salzbourg, un an plus tôt. Ici, le timbre est allant et les aigus très maîtrisés, malgré un troisième acte un peu moins bien chanté et un certain manque de souffle dans l’air final.

Pour la première fois en version scénique, nous entendons l’Amfortas de Matthias Goerne qui, contrairement à ce que nous pouvions attendre de son chant fort orienté vers le Lied, livre un vrai personnage d’opéra, blessé, meurtri, d’une émotion vocale soutenue. Malheureusement, si magique il y a quelques années la profondeur du timbre semble réduite et ne porte pas l’interprétation au firmament. Gurnemanz – peut-être le rôle le plus important – revient à Peter Rose, Baron Ochs (Der Rosenkavalier) sur toutes les grandes scènes [lire notre chronique du 18 mars 2014]. Avec une diction impeccable où chaque mot est clairement compréhensible, il abuse parfois du parlando, lui aussi. Mais peut-être lui manque-t-il cependant plus de poids émotionnel pour s’avérer déterminant. Visage masqué, Andreas Hörl maîtrise la gravité du rôle de Titurel, alors qu’à l’inverse (et comme souvent) la malédiction de Klingsor semble se prolonger, cette fois avec Boaz Daniel, médiocre. Dans cet ouvrage relativement bien distribué par les théâtres allemands, le point faible est presque systématiquement le sorcier, souvent trop acide et tendu par rapport à la partition. Pour le reste, le niveau global est très satisfaisant.

Malgré ses dix ans d’âge, la production de Christine Mielitz révèle un travail intelligent porté par un regard ambivalent (Bien et Mal). Elle put donner des clés de lectures utilisées depuis par d’autres, comme le caractère clinique repris par Claus Guth ou les jeux de couleurs vus à Budapest (Alexandra Szemerédy et Magdolna Parditka). Dans une salle en décombres, le premier acte fait la part belle au concept blanc/noir tout en installant l’argument dans un univers dévasté où Titurel est déjà momifié. Dans le bain curatif, un enfant est livré en sacrifice – option qu’utilisera plus tard Stephen Langridge, d’autre manière [lire notre chronique du 18 décembre 2013]. Avec son blockhaus tout droit sorti d’un James Bond, l’Acte II paraît un peu kitsch mais il amène parfaitement la scène des Filles-Fleurs, montrées en prostituées aguicheuses dans une ambiance de maison close. Enfin, le III nous lie dans un espace clos, entre deux murs dont toutes les fenêtres sont fermées par des volets. Kundry ne s’enfonce pas en terre, mais reste longtemps sur scène avant de monter au ciel. De bonnes idées dans une réalisation qui supporte finalement bien le poids des ans, en partie parce que jamais elle ne fut à la mode, sans doute.

VG