Chroniques

par françois cavaillès

La Cenerentola ossia La bontà in trionfo
Cendrillon ou La bonté triomphante

dramma giocoso de Gioachino Rossini
Opéra national du Capitole, Toulouse
- 30 mars 2024
Le tandem Renaud Doucet et André Barbe signe LA CENERENTOLA à Toulouse...
© mirco magliocca

Commandé pour le carnaval romain de 1817, La Cenerentola, vingtième ouvrage lyrique de Rossini, composé à l’âge de vingt-cinq ans, est produit par l’Opéra national du Capitole en fin de semaine pascale. Ce grand spectacle familial à succès, puisque inscrit dans le genre buffo, s’avère une nouvelle transposition du tandem Renaud Doucet (mise en scène) et André Barbe (décors et costumes) [lire nos chroniques de Benvenuto Cellini, Iphigénie en Aulide, Die Feen et Il Bravo ossia La Veneziana] : cette fois, voici Cendrillon à New York au temps du début des Rockettes, danseuses de revue de style Broadway, dans une vision fantaisiste et amusante.

Les attendus du jugement en faux conte de fées et vrai dramma giacoso abondent presque aussi vite que la baguette-éclair de Michele Spotti, à nouveau placée à la tête de l’allègre et puissant Orchestre national du Capitole, après une Traviata et un Idomeno [lire nos chroniques de Don Pasquale, Il matrimonio segreto, Le bourgeois gentilhomme, Il signor Bruschino, Guillaume Tell, La fille du régiment, Beatrice di Tenda et Barbe-Bleue]. À mesure qu’elles rivalisent d’énergie dansée et de brio, Clorinda et Tisbe sont bien interprétées par le soprano offensif Céline Laborie [lire notre chronique de Parsifal] et Julie Pasturaud, mezzo vipérin [lire nos chroniques de La métamorphose, Hippolyte et Aricie, Convergences Gabriel Dupont, L’enfant et les sortilèges, Lucia di Lammermoor, Cendrillon, La Périchole, I puritani et Rigoletto], comme deux garces pimpantes, à la différence marquée d’une Angelina fort châtiée, vieille fille terne à la cantilène émue, mais en fait personnage frivole sur presque toute la ligne. Métamorphosé, tout en restant fidèle à ses bonnes intentions, sous un déguisement de vedette à faire tourner les têtes, le mezzo Floriane Hasler donne toute satisfaction quant à la virtuose expression amoureuse, et ce jusqu’au lancement des fameux trilles en fusée, pour son heureux triomphe final [lire notre chronique de Carmen].

Dans le décor initial au fond semblant de carton-pâte, le baryton-basse Vincenzo Taormina propose un excellent Magnifico, rempli de subtilité et de bravoure, dans une vis comica parfaitement mêlée au talent vocal. Dans ses airs comme en ensemble, le maître de cérémonie à l’air loufoque tient la forme d’un grand interprète buffo de Rossini [lire nos chroniques de La traviata et d’Il Turco in Italia]. Le plus pur lyrisme de la représentation est révélé par Ramiro, prince mal accoutré – légionnaire plutôt que laquais. C’est l’instant charnière où changent les lumières de Joël Fabing [lire nos chroniques d’Ariadne auf Naxos, Elektra et Georges Dandin ou Le mari confondu], prenant la lueur vive d’une aurore filtrée de vert où passe furtivement, en smoking, le devin philosophe Alidoro (brève apparition imprévue au livret). Chantant l’amour et l’espoir par-delà les duperies, Michele Angelini s’avance, ténor galant, frais et candide [lire nos chroniques d’Il barbiere di Siviglia, Corradino, Marino Faliero, La scala di seta, Medea in Corinto et Armida]. Avec un bonheur crédible et simple, sa vocalise traduit l’éveil d’un cœur. Alors que la mise en scène semble désormais beaucoup plus riche et pertinente, La cenerentola s’élance sur la voie du romantisme.

La poésie est tout entendue par Barbe et Doucet dans un cadre sentimental évident, mais en évitant la mièvrerie. Sans croire au coup de foudre, ce Ramiro réaliste passe de vantard à dadais en mirant dans les yeux de la dulcinée un « suave non so che » – la fosse, alors d’une remarquable concision, en sait plus... Le soupirant poursuit son petit bonhomme de chemin. Pourtant, le fil de ses pensées est interrompu par le grand divertissement bouffe bien incarné sur la scène qui en paraît même élargie pour l’irruption du baron Magnifico, en costume à carreaux, heureux accident vestimentaire parmi quelques autres ce soir. Sous l’apparence d’une roussette marine et mafieuse, Dandini est un renfort au charme théâtral, bien soutenu par le chaleureux Chœur du Capitole qu’a préparé Gabriel Bourgoin. Dans la difficile cavatine d’entrée, le baryton Philippe Estèphe peine un peu quant à la projection, mais il maîtrise le rôle [lire nos chroniques de Peer Gynt, Fantasio, Le comte Ory, Die Zauberflöte, Lancelot et Les Boréades]. Rejoint à la cabalette par quatre ouvreuses en habit de pin-up, le valet coqué en agent fripouillard mène le bref quatuor dont s’extrait à l’avant-scène une intéressante Cendrillon, détachée, pour un instant, des mondanités et comme en intense délibération intérieure. L’Alidoro de stentor de la basse Adolfo Corrado viendra accorder le destin avec les variations de l’orchestre. Soigneusement gratiné, son grand air respecte la pureté de la ligne vocale et s’achève dans un élan optimiste [lire notre chronique d’Alfredo il Grande].

Au pied de la façade d’un gratte-ciel illuminé est transporté le Finale primo grâce à l’excellent jeu de décors en mille-feuilles. L’extase stupide des nigaudes, l’ivresse chorale si bien fondue, l’air de Magnifico au milieu de la danse experte de six secrétaires affriolantes, le duo Zitti zitti, piano piano (emprunté au Barbier de Séville), tout aboutit à la découverte d’un autre décor fabuleux : le grand escalier blanc d’une fête versaillaise acidulée. Encensée, Cendrillon en fausse fourrure, lunettes noires, perruque et paillettes, s’y élève comme une étoile pour « dédaigner les dons que dispense la fortune capricieuse » et mieux toucher Ramiro. La réponse subjugue l’assistance, suivie par l’écho séducteur de Dandini, bouleversant de risible... Dans une ambiance tétanisée, le concertato terminal est lancé avec une grande netteté. Plus expéditif mais tout aussi coloré, le second Acte laisse libre cours à l’imagination enfantine et festive de Rossini et de son librettiste Jacopo Ferretti, avec l’infaillible soutien de Vincenzo Taormina – Sia qualunque delle figli de haut vol. Le chœur prend même l’accent jazzy avant la touchante confession flûtée de Ramiro et, dans le sens d’une avancée plus classique de l’intrigue, l’aria di bravura richement modulée. Pugnace pour conduire l’orage, la fosse imprime la régularité, puis le fantastique nécessaires au célèbre sextuor aussi bien chanté que joué. Sans surprise, le dénouement rappelle la monumentale rampe pour un numéro amplement dansé, la revue portant canne et canotier.

FC