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Chroniques
Die Feen | Les fées
opéra de Richard Wagner
C’était le 22 mai 1813 et c’était à Leipzig : il y a tout juste deux cents ans naissait ici Richard Wagner. Aussi est-il bien naturel que la ville de Bach, Mendelssohn et Schumann célèbre cette année le maître de Bayreuth par ces Richard Wagner Festtage couvrant une dizaine de jours (du 16 au 26 mai). Avec passion, expositions, concerts, films, conférences et représentations mobilisent de haut-lieux culturels comme la Villa Klinger, le Museum der bildenden Künste, la Stadtbibliothek, l’université, mais bien sûr la Gewandhaus et l’Opéra.
Outre Rheingold, Die Meistersinger von Nürnberg et Parsifal, la grande scène de l’Opernhaus joue le rare Rienzi de 1842 et, plus rare encore, Die Feen conçu par Wagner en 1833 à partir du conte La donna serpente du Vénitien Carlo Gozzi [lire notre chronique du 27 mars 2009 et notre critique du CD], tandis qu’à l’autre bout de la place la célèbre Gewandhaus affiche des versions de concert du fliegende Holländer ou du moins attendu Liebesverbot (1834), et qu’ailleurs la Hochschule für Musik profite de l’événement pour donner les fragments de Die Hochzeit, jamais achevé (1832).
Le public saxon découvrait le 16 février dernier la nouvelle production des Fées, confiée à Renaud Doucet. Si du metteur en scène français avaient peu convaincu le Benvenuto Cellini strasbourgeois [lire notre chronique du 20 janvier 2006] et moins encore l’Iphigénie en Aulide, vue deux ans plus tard à Colmar [lire notre chronique du 4 mai 2008], l’actuelle vision s’impose aisément. C’est par le biais de la distanciation qu’il aborde l’ouvrage, une distanciation savamment réinvestie dans la représentation elle-même jusqu’à s’y annuler salutairement. Nous découvrons un appartement dans un immeuble classique. Dans la cuisine surgit une famille qui s’ébroue gentiment tandis que le père se prépare à écouter un concert à la radio. Et la « voix du poste » d’annoncer alors la retransmission en direct de Die Feen à l’Opernhaus de Leipzig ! Après un bref commentaire et le rappel de la distribution de la soirée, la baguette se lève et l’opéra commence. Par le prisme de cet homme concentré devant le récepteur dans une écoute absorbante, la musique envahit assurément le plateau, bientôt abandonné par les autres membres de la famille. La plaisante incongruité du surgissement de quelques-uns des personnages dans le salon bourgeois prélude à l’identification de cet auditeur en prince Arindal, le héros de Die Feen. Au décor de se mouvoir ensuite sur les univers dont il rêve, et ainsi de suite. C’est astucieux, poétique, fort joliment réalisé (costumes et décors du complice André Barbe) et traversé d’un humour tendre.
Sur ces plateaux multiples évolue une distribution efficace.
Ainsi du baryton-basse bulgare Milcho Borovinov qui d’un timbre ferme et coloré incarne un Gernot particulièrement probant. Ainsi également du baryton Roland Schubert, exemplaire en Harald. Ainsi, surtout, du Morald de Detlef Roth : on retrouve le baryton allemand en grande forme vocale, au service d’une musicalité expressive et souverainement phrasée [lire nos chroniques du 13 octobre et du 9 mars 2012, du 15 août 2011, du 5 mai 2008, du 8 mars 2004, et nos critiques des CD Mahler et Schubert]. La Lituanienne Viktorija Kaminskaite est une Zemina de haute volée, délicatement portée par le chant séduisant de ce soprano élégant. Plus dramatique, le soprano d’Eun Yee You prête à Lora une présence de bon aloi. Enfin, Christiane Libor, qui fut Ada à Paris, magnifie le rôle d’une opulence vocale chatoyante. Seule ombre au tableau, Arnold Bezuyen est très instable, laissant Arindal osciller entre plusieurs émissions fragiles.
À la tête des musiciens d’un Gewandhausorchester expressif, Ulf Schirmer dirige une représentation à la fois puissante et enlevée tout en dessinant bien des détails de cette partition sottement ignorée. De qualité comparable, les artistes du Chœur maison, préparés par Alessandro Zuppardo, signent une prestation impeccable.
BB