Chroniques

par laurent bergnach

Convergences Gabriel Dupont
Nicolas Stavy, Chœur de l’Opéra national de Paris

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 23 avril 2014
Debussy et Dupont par Nicolas Stavy et le Chœur de l’Opéra
© dr

Depuis le récital Yann Beuron en début de saison, plusieurs concerts Convergences ont à cœur de commémorer le centenaire de la Première Guerre mondiale en faisant entendre la musique de Boulanger, Honegger, Milhaud, Poulenc, Ravel et Stravinsky. Ce tout dernier rendez-vous invite Claude Debussy (1862) et son cadet moins connu, Gabriel Dupont (1878-1914).

Mort à trente-six ans au tout début de l’épouvantable conflit, d’une tuberculose qui le torture depuis l’enfance, c’est tout naturellement que ce fils d’organiste apprend le métier avec Guilmant, Widor et Vierne – qui salue « une fécondité formidable » –, mais aussi avec Taudou, Gedalge et Massenet. Juste avant d’être second Prix de Rome en 1901, ex-æquo avec Ravel derrière Caplet pour la cantate Myrrha, Dupont fait éditer chez Leduc trois Chansons normandes pour voix de femmes et piano sur des textes d’Émile Blémont (1839-1927), poète comme lui originaire de Caen, lié au Parnasse et aux symbolistes. « Que vous offrirai-je ? / Les boules de neiges / L’iris frais ouvert / Le réséda vert » demande la marchande de fleurs du texte éponyme. Ce moment guilleret permet de retrouver, en compagnie d’un chœur « maison » d’abord raide et brouillon, le soprano impacté, chaud et généreux d’Andreea Soare, ancienne élève de l’Atelier Lyrique remarquée dans La Resurrezione [lire notre chronique du 30 avril 2012]. La mélancolie sensuelle de Feuilles mortes permet d’apprécier davantage le legato de la soliste diplômée en musicologie et déjà couverte de prix, avant une bondissante Ronde du lilas et de la roseJean propose et Jeanne dispose […] Que l’Amour mène les galas ! »).

Second puis premier Prix de Rome avec Le gladiateur (1883) et L’enfant prodigue (1884) [lire notre critique du CD], Debussy se sent d’emblée enchaîné et redoute « les ennuis, les tracas qu’apporte fatalement le moindre titre officiel ». Arrivé en février 1885 dans la ville où il se languirait bientôt de Manet et d’Offenbach, le musicien est tenu, durant les quatre années à venir, de livrer quatre « envois » à l’Académie des beaux-arts. Recevant d’abord Zuleima, ode symphonique aujourd’hui perdue, l’institution s’inquiète d’un jeune homme préoccupé « de faire de l’étrange, du bizarre, de l’incompréhensible […] ». Suivent Printemps (1887), tancé pour « cet impressionnisme vague qui est un des plus dangereux ennemis de la vérité dans les œuvres d’art », et La Damoiselle élue (1888), « petit oratorio dans une note mystique et un peu païenne » sur un texte de Rossetti, que la Société nationale de musique fait entendre la 7 avril 1893 (avant les révisions ultérieures). Un piano tendrement calme puis lyrique annonce l’arrivée du chœur dirigé par Patrick-Marie Aubert, souple et homogène, avant celle du mezzo caressant de Julie Pasturaud – récemment saluée dans L’enfant et les sortilèges [lire notre critique du DVD] et La métamorphose [lire notre critique du CD] – et du soprano déjà cité, qui gagne en onctuosité.

La glu (1910), La farce du cuvier (1912) et Antar (achevé en 1914 mais créé en 1921) ne disent plus grand-chose au public d’aujourd’hui, qui se souvient moins de Gabriel Dupont pour ses opéras que pour ses cycles intimistes. Conçu entre novembre 1903 et juin 1905, Les heures dolentes (1906) rassemble quatorze pièces pour piano de durée variable, marquées par une atmosphère de dépression – « même s'il y a des passages optimistes, frais, précise Nicolas Stavy à France Musique,on sent que tout est décrit du point de vue de la douleur et de l'ennui d'un patient alité ». À l’instar d’une musique à programme, les titres renseignent sur cette convalescence au Vésinet, entre présence naturelle (soleil, pluie, vent, jardin), surnaturelle (mort, hallucinations) et humaine (médecin, amie, enfants). Mais les sons parlent d’eux-mêmes, installant des ambiances à la fois mystérieuses et familières (Épigraphe, Nuit blanche), des climats douillets et humides (Une amie…). Si quelques échos de danse viennoise ou d’entrain russe enflamment la partition, le pianiste a surtout la tâche délicate de nuancer la tendresse d’une berceuse, le tremblement d’un feuillage, un moment de recueillement, de tristesse ou de mélancolie. Ce qu’il réussit brillamment.

LB