Chroniques

par irma foletti

Le bourgeois gentilhomme
musique de scène de Richard Strauss

Festival della Valle d’Itria / Palazzo Ducale, Martina Franca
- 1er août 2020
Le bourgeois gentilhomme, musique de Strauss pour la comédie-ballet de Molière
© larissa lapolla

Comme annoncé précédemment, le Festival della Valle d’Itria, situé à Martina Franca dans les Pouilles italiennes, a maintenu sa quarante-sixième édition, mais en remaniant profondément son programme [lire nos chroniques des 30 et 31 juillet 2020]. Les compositeurs initialement envisagés sont, a priori, renvoyés à l’année prochaine – Saverio Mercadante (La rappresaglia), Ermanno Wolf-Ferrari (Gli amanti sposi), Ferdinando Paër (Leonora) et Niccolo Piccinni (Il perucchiere). Place, donc, à Richard Strauss, mais en sortant des sentiers battus, l’exhumation d’ouvrages rares restant dans l’ADN de la manifestation depuis sa création. Ce n’est donc pas Ariadne auf Naxos, sur le texte d’Hugo von Hofmannsthal, qui est proposée telle qu’on la connaît de nos jours, en un prologue chanté avant l’opéra proprement dit (version de Vienne, 1916), mais Arianna a Nasso qui se rapproche de la version d’origine (Stuttgart, 1912), dans une nouvelle version italienne du livret confiée à Quirino Principe.

Dans la soirée qui précède est proposé Il borghese gentiluomo (Le Bourgeois gentilhomme) avec les musiques de scène, dans leur version originale de 1917, composées par Strauss pour la comédie-ballet de Molière. La représentation est annoncée mise en espace (en français dans le texte !) par Davide Gasparro. Des rubans rouges sont tendus sur scène, pour rappeler le thème de cette édition Per ritrovare il filo : le fil d’Ariane certainement, mais aussi retrouver le fil de nos vies d’avant Covid-19, le chemin vers les salles de spectacles.

Le chant est peu présent au cours de la soirée. Les danseurs interviennent davantage et la musique se taille la part du lion. Quel plaisir d’entendre, de réentendre après plusieurs mois d’abstinence, un orchestre symphonique, ici l’Orchestra del Teatro Petruzzelli de Bari – la maison d’opéra la plus proche –, placé sous la baguette du jeune et talentueux Michele Spotti. Dès l’Ouverture, la phalange joue à la perfection, ses cordes qui entrent délicatement, rejointes par les bois, les cuivres et quelques touches de piano. Ces pages musicales sont du meilleur Strauss, idéalement servies ce soir. En premier lieu l’on apprécie les parties de violon solo et de violoncelle solo.

Les moments vocaux sont rares, à l’exception de la cérémonie turque, en séquence finale, qui sollicite également sept choristes. Les solistes tiennent leur rang, en commençant par le baryton richement timbré Vittorio Prato en Monsieur Jourdain, un bourgeois en tenue de ville, comme l’ensemble des chanteurs ce soir, qui manutentionne les costumes sur le plateau. Le contralto Ana Victória Pitts, à la voix profonde et légèrement voilée, et le soprano Barbara Massaro, piquant et agile, charment nos oreilles avec le duo entre berger et bergère. Complètement synchrone avec la musique, le couple de danseurs Fabrizio Di Franco et Matilde Gherardi font le bonheur des yeux. Les mouvements scéniques réglés par le danseur sont bien plus actuels que ceux de l’époque de Molière, mais ils passent avec naturel, tellement nous avons été habitués, ces dernières années, à des chorégraphies modernes. On pense en particulier aux opéras de Rameau réglés par Laura Scozzi, Montalvo-Hervieu, ou encore La La La Human Steps, compagnie créée par Edouard Lock.

Seule petite ombre au tableau, les trois interventions sonorisées du metteur en scène, d’une dizaine de minutes chacune. On apprécie la troisième, qui porte sur la vie de Molière, celui-ci n’ayant pas embrassé la carrière professionnelle toute tracée de son père, tapissier du roi, mais préféré l’aventure du théâtre. Les deux premières interventions sont, quant à elles, des réflexions, péroraisons, digressions à propos de l’argent et de l’art, très justes et intéressantes, au demeurant. Ainsi, que ferait le bourgeois Jourdain au XXIe siècle ? Il « aurait une Mercédès dans son garage, une montre Rolex, un yacht » ou alors « ne serait pas intéressé par l’art mais s’achèterait une équipe de foot » ? L’acteur, qui invective le danseur en plein mouvements en lui demandant s’il paie son loyer, ses factures, etc., entame la poésie de la soirée.

On préfèrera retenir la projection vidéo, en fond de plateau, pendant un doux morceau musical (intermezzo), d’un ovale rempli d’arcs de cercle blancs, comme un nuage qui passe dans un sens, puis dans l’autre direction un peu plus tard, et se déploie sur toutes les façades de la cour à la toute fin du spectacle. Juste avant la conclusion, chaque chanteur, tour à tour, lève le bras et fait mine d’éteindre le spot qui l’éclaire depuis les cintres, une image qui ajoute au charme de la soirée.

IF