Chroniques

par irma foletti

Medea in Corinto | Médée à Corinthe
opéra de Giovanni Simone Mayr

Festival Donizetti Opera / Teatro Sociale, Bergame
- 4 décembre 2021
Medea in Corinto, opéra de Mayr au Festival Donizetti Opera, en 2021
© gianfranco rota

Créé en 1813 au Teatro San Carlo de Naples, puis proposée dans sa nouvelle version en 1821 au Teatro della Società de Bergame, Medea in Corinto de Mayr n’est pas totalement inconnue des lyricophiles actuels [lire notre chronique de la production d’Hans Neuenfels]. Comme souvent, le label Opera Rara fut le précurseur de sa redécouverte en mettant à disposition une version discographique, puis plusieurs institutions ont monté l’ouvrage à la scène en laissant aux amateurs un témoignage vidéo, comme la Bayerische Staatsoper de Munich (2011, 2 DVD Arthaus Musik) ou encore le Festival della Valle d'Itria à Martina Franca (2016, 2 DVD Dynamic).

C’est dans le Teatro Sociale de la ville haute de Bergame qu’est montée la nouvelle production de l’ouvrage, confiée à Francesco Micheli [lire nos chroniques d’Il killer di parole, Adriana Lecouvreur, Lucia di Lammermoor, La creazione del mondo et L’ange de Nisida], directeur artistique du Festival Donizetti Opera. Sa mise en scène s’éloigne très nettement d’un traitement classique de cet opéra en deux actes, en le tirant vers la famille du Regietheater dont la nouveauté et l’originalité des propositions se sont quelque peu émoussées ces dernières années, à force d’être présentées aux spectateurs. Pendant l’Ouverture, diverses saynètes sont jouées, avec leurs indications de lieux et de dates projetées sur un tulle d’avant-scène : en 2021 Medea et Giasone sont attablés dans une cuisine vintage, mais on revoit leur rencontre en flash-back en 1960, les deux enfants qui grandirent en 1975, tandis que la même année Giasone tombe en arrêt devant Creusa, nouvelle élue de son coeur. Des personnages aux visages noirs, inquiétants et souvent menaçants avec des couteaux, viennent rappeler régulièrement les crimes originels commis par l’héroïne.

Le dispositif scénique d’Edoardo Sanchi est ingénieux et efficace pour modifier rapidement les tableaux. Quatre plateaux en carré montent et descendent des cintres, chacun représentant une pièce d’habitation : à droite, la cuisine année 1970 déjà évoquée et ses meubles en formica, la chambre à coucher du couple à gauche, alors que nous sommes chez Creusa et Egeo à l’arrière-plan, salon à gauche et chambre à coucher à droite. En sous-face de ces plateaux, les lumières d’Alessandro Andreoli baignent le plateau de différentes couleurs, celui-ci étant fermé sur ses trois côtés par des cloisons représentant de tristes barres d’immeubles vues en reflet dans des flaques d’eau. L’intrigue tourne vite à une histoire d’adultère banalisée. Creusa tourne autour du lit matrimonial de ses voisins, pour se glisser rapidement à côté de son amant, puis elle impose sa présence au petit déjeuner familial et se fait facilement accepter par les enfants qui tombent dans ses bras. Le théâtre est certes intense entre Medea et Giasone, mais les confrontations relèvent de scènes de ménage de la vie quotidienne, en même temps qu’on met le couvert, qu’on prend le repas en famille ou qu’on va se coucher. Une loge de concierge, qui se déplace transversalement et où s’expriment souvent les rôles secondaires Ismene et Tideo, ajoute à l’originalité, mais l’usage répété des montées et descentes du décor amène bientôt la saturation. Le dénouement ne sort pas non plus de ce drame habituel de la jalousie, et quelques images laissent perplexes – morte empoisonnée dans l’intrigue, Creusa paraît pourtant au bras d’Egeo, les deux enfants s’embrassent ensuite amoureusement, puis repartent accompagnant Medea, leur maman, valises en main.

Musicalement, le résultat paraît supérieur à celui d’hier pour La fille du régiment [lire notre chronique de la veille], même s’il s’agit du même Orchestra Donizetti Opera qui officie en fosse. Sous la direction de Jonathan Brandani [lire notre chronique de La Veneziana], la cohésion est appréciable et les soli instrumentaux de bonne facture, comme celui de la harpiste pour accompagner, en scène et en habits de mariée, Compi l’opra, o ciel pietoso, l’air fleuri de Creusa au début de l’Acte II. L’enthousiasme est plus modéré envers les prestations des choristes masculins du Coro Donizetti Opera, basses à gauche et ténors à droite répartis dans les trois niveaux de loges d’avant-scène. La disposition des chanteurs les expose certes à quelques petits décalages, mais ceux-ci ressortent souvent avec excès, dans un son collectif qui n’est pas toujours très harmonieux.

En tête de distribution, Carmela Remigio impressionne en Medea, faisant passer colère, vengeance et fureur autant par la voix que par le jeu. Le drame est affirmé par certaines fortes notes puissamment projetées, tout en assurant les difficultés techniques de sa partie, en particulier les grands intervalles [lire notre chronique de Lucrezia Borgia]. La partition de Creusa est écrite pour un soprano plus aigu et agile : Marta Torbidoni ne manque ni d’abattage ni de souplesse, en distillant un registre aigu particulièrement musical et fruité. Juan Francisco Gatell a gagné en largeur, ces dernières années, mais en Giasone ses notes les plus hautes sonnent avec une petite fragilité, alors que l’autre ténor, Michele Angelini, se joue des suraigus de sa partie d’Egeo, tout en exécutant les séquences virtuoses à vitesse supersonique. Le baryton-basse Roberto Lorenzi (Creonte) ne dispose pas d’une puissance démesurée, mais l’instrument se déploie en de belles couleurs et sans aucun problème dans ce théâtre aux dimensions raisonnables. Caterina Di Tonno (Ismene) fait entendre une voix musicale et séduisante et Marcello Nardis (Tideo) sonne davantage en ténor de caractère.

IF