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Chroniques
La fille du régiment
opéra de Gaetano Donizetti
Après un millésime 2020 en streaming en raison de la pandémie de Covid-19 [lire nos chroniques de Marino Faliero et de Le nozze in villa], le Festival Donizetti Opera revient cette année dans un Teatro Donizetti qui accueille à nouveau le public, après plusieurs années de travaux de rénovation et de restructuration. Parmi les trois ouvrages de la manifestation, ce sont deux titres du natif de Bergame qui sont proposés, en commençant par l’opéra comique La fille du régiment, dans sa langue originale comme il est d’usage depuis de nombreuses années.
La nouvelle production de Luis Ernesto Doñas tire très nettement l’ouvrage vers la farce en transposant l’action dans une Cuba imaginaire avec ses guérilleros constamment dévoués à la révolution. Le rideau de scène appartient à cette esthétique caribéenne, des peintures naïves et très colorées de visages et végétation luxuriante, deux artistes achevant la toile par de petites touches pendant l’Ouverture. En fait, les militaires du vingt-et-unième régiment s’adonnent à la teinture dans leur uniforme jaune canari, Marie étant chargée de nettoyer les pinceaux. Bien avant sa conversion en soldat du 21e, Tonio apparaît sous les traits d’un cow-boy, l’impérialiste américain au chapeau, sacoche et bracelet de force.
Le trait est toutefois un peu épais au premier acte, avec des choristes qui dansent comme en discothèque et les interventions répétées d’un tam-tam qui risquent de dénaturer l’ouvrage. Le second acte est heureusement plus sobre, dans la scénographie d’Angelo Sala au code couleur qui contraste fortement avec la générosité des teintes précédentes. Ce sont en effet le noir et le blanc qui sont déployés chez la Marquise de Berkenfield, une grande toile descendant des cintres pour tapisser le plateau, avec, côté droit, un piano sous un lustre qui en impose. Les costumes de Maykel Martinez cantonnent également la haute société dans le noir et blanc, Berkenfield et tous ses invités, ainsi que la Duchesse de Krakenthorp. L’irruption des soldats-poussins, puis l’heureux dénouement final, ramèneront les couleurs sur scène.
Du point de vue musical, les premières mesures de l’Orchestra Donizetti Opera inquiètent avec des notes que l’on sent fragiles au cor solo, mais aussi quelques approximations de cohésion de l’ensemble sur plusieurs attaques. Les intentions et la variété des nuances proposées par Michele Spotti ne sont pas à mettre en cause [lire nos chroniques de Don Pasquale, Il matrimonio segreto, Le bourgeois gentilhomme et Guillaume Tell] ; elles renforcent l’intérêt et le caractère de la partition. Les choses paraissent s’arranger par la suite, en reconnaissant cependant que plusieurs pupitres sont les plus exposés au cours de l’Ouverture.
La distribution vocale comporte deux belcantistes d’exception pour les rôles principaux : Sara Blanch en Marie et John Osborn en Tonio. Véritable soprano colorature [lire nos chroniques de L’enigma di Lea et de Corradino, cuor di ferro], Sara Blanch semble se jouer des difficultés du rôle, tant elle enchaîne, avec le sourire et une vraie allure de garçon manqué, rapidité d’exécution, virtuosité, aigus et suraigus dans un français correct. Elle ajoute même de petites variations dans certaines reprises et parvient, par ailleurs, à faire passer l’émotion, comme à la fin du premier acte, avec Il faut partir, ou au second à travers Par le rang et par l’opulence, quand elle sort d’une boîte jaune la fleur que lui avait offerte Tonio. John Osborn [lire nos chroniques d’Otello, Les contes d’Hoffmann, Le prophète, Benvenuto Cellini, L’elisir d’amore et Die ersten Menschen] possède une qualité de français encore supérieure, le ténor américain ne ratant pas son rendez-vous, Ah ! mes amis, quel jour de fête, puis ses neuf fameux contre-uts dans Pour mon âme, et même un peu plus que neuf en marquant les notes sur « mili-taire et ma-ri ». Au second acte, la version de Pour me rapprocher de Marie est une excitante et véritable nouveauté, n’ayant, pour notre part, jamais entendu les petites interventions des trois autres personnages entre les deux couplets, ni la fin de l’air, plus développée.
En Sulpice, le baryton Paolo Bordogna est sonore et déroule une vis comica naturelle, sans en rajouter [lire nos chroniques de Don Gregorio, La pietra del paragone et L’equivoco stravagante]. En Marquise de Berkenfield, Adriana Bignagni Lesca remporte un succès assez considérable au rideau final, la submergeant d’émotion. Originaire du Gabon, la chanteuse fait entendre la meilleure qualité de français de l’équipe et son ambitus lui permet aussi de puiser dans des graves de contralto, ainsi que d’émettre quelques aigus de soprano, à l’autre extrémité du registre. Son air espagnol ajouté en début d’Acte II, accompagné au piano seul et qui ressemble de très près à la Habanera de Carmen, est un très beau moment. Tenu par Cristina Bugatty, le rôle parlé de la Duchesse de Krakenthorp paraît moins développé que dans d’autres productions antérieures. Haris Andrianos (Hortensius) complète agréablement les rôles principaux.
IF