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Chroniques
Der Rosenkavalier | Le chevalier à la rose
opéra de Richard Strauss
Sans doute n’est-ce point ouvrage très fréquenté par les maisons d’opéras du sud de la France. À ce titre, on félicitera Frédéric Roels, directeur d’Opéra Grand Avignon depuis deux saisons (après avoir été celui de l’Opéra de Rouen puis de l’Opéra royal de Muscat), qui invite le public provençal à parfaire son approche du grand répertoire allemand, de même qu’il lui proposait, il y a tout juste un an, sa propre mise en scène de Peter Grimes de Britten [lire notre chronique du 17 octobre 2021]. Pour ce faire, encore fallut-il opter pour une version à moindre effectif instrumental, compte tenu des propositions du fort beau théâtre de Feuchère et Charpentier, restauré tout récemment, et réunir une distribution efficace. Avec la complicité du Theater Trier qui coproduit le spectacle, une réussite s’affirme sur ces deux plans du projet.
Le choix des voix est la principale qualité de ce Rosenkavalier où chacune se trouve exactement distribuée dans l’emploi qui lui convient, rôle et interprète se mettant dès lors mutuellement en valeur. Ainsi applaudit-on sans réserve Olivier Trommenschlager triplement à la tâche pour ses Majordomes de la Maréchale puis de Faninal, enfin pour son Aubergiste, tous d’une saine fermeté [lire notre chronique de Die Zauberflöte]. La lumière flatteuse du ténor Carlos Natale fait florès dans la partie de Chanteur à laquelle il prête riche couleur, par-delà une diction qui a égaré le sac des consonnes à la consigne à bagages [lire nos chroniques de Contes de la lune vague après la pluie, Ali Baba et Guillaume Tell]. On retrouve avec bonheur Diana Axentii, Marianne sonore et présente [lire notre chronique de Phèdre], ainsi qu’Hélène Bernardy, Annina lyrique qui brûle les planches [lire nos chroniques de Khovantchina, Le roi Arthus, Tosca et L’amour des trois oranges]. Belle surprise que d’entendre l’excellent Krešimir Špicer luxueusement distribué en Valzacchi auquel il prête la clarté du timbre, la puissance de la projection et la souplesse de l’instrument [lire nos chroniques de La Didone, Il ritorno d’Ulisse in patria, Lucio Silla, Israel in Egypt et Idomeneo]. Le baryton Jean-Marc Salzmann assume un Faninal convainquant.
Loin de démériter, le quatuor de tête mène adroitement la danse. Ainsi de Sheva Tehoval, Sophie idéale de spontanéité comme de fulgurance vocale [lire nos chroniques d’Egmont, Moscou Paradis, Le coq d’or et Parsifal]. À défaut d’une accroche plus mandibulaire de la langue allemande telle qu’appliquée par l’aristocratie viennoise, Micha Schelomianski brille surtout par la distinction vocale et par une conception du rôle d’Ochs moins simplement grossière qu’on s’y attendrait, mais sans conteste plus profondément odieuse – c’est ingénieux. Applaudie ce printemps à Bruxelles [lire notre chronique d’Il trittico], Tineke Van Ingelgem mène d’un légato suprêmement onctueux sa Marie-Thérèse. Enfin, venue remplacer Violette Polchi souffrante, le mezzo-soprano Hanna Larissa Naujoks incarne un Octavian passionnant ! Souverainement projetés, le timbre est séduisant, la voix fort chaleureuse, et le personnage magnifiquement composé, dans une présence masculine qui en impose.
À la tête d’un Orchestre National Avignon-Provence en bonne santé, Jochem Hochstenbach, actuel directeur musical de l’Opéra de Trèves (Theater Trier), signe une approche plutôt fine de la partition dont il souligne adroitement les clins d’oeil – les fileuses du fliegende Holländer pour l’arrivée d’Ochs chez Faninal, les trilles de flûtes chevauchant des walkyries au troisième acte, sans oublier la Cinquième de Beethoven, bien sûr, lorsque la lubricité du baron est sidérée par des apparitions infernales. Après un premier acte un rien décomposé dans ses détails, le suivant gagne en hauteur et en vue générale, quoique l’interprétation ne déroge guère d’un plancher tenace. Respectivement préparés par Florence Goyon-Pogemberg et Aurore Marchand, la Maîtrise et le Chœur d’Opéra Grand Avignon assurent sans encombre leurs interventions.
Voilà qui n’est rien, au vu de la mise en scène. Alors que nous gardions un très bon souvenir des travaux de Jean-Claude Berutti [lire nos chroniques de La bohème, König Kandaules et Tannhäuser], son Rosenkavalier déçoit grandement. Outre un recourt quasiment touristique à la projection d’images désuètes empruntant à Robert Wiene [lire notre chronique du 14 novembre 2009], l’artiste fait, dans les décors conçus par Rudy Sabounghi, l’impasse de l’identification des milieux sociaux – la chambre petit-bourgeois de Bichette fait honte à l’élégant salon de Faninal. La datation de l’argument est effacée à la faveur d’une contemporanéité en bal masqué, pour ainsi dire, où Valzacchi est un reporter plutôt qu’un espion. Les partis pris demeurent flous, les choix hésitants et le climat général d’un goût volontiers douteux – l’insistance sur l’aspect sexuel de la relation Octavian/Marie-Thérèse avait-il besoin de cette insistance-là pour que le public l’envisage ? Qu’il soit permis d’en douter. Pourquoi le coiffeur Hyppolite est-il devenu la coiffeuse Hyppolita ? Mystère… sauf à considérer une sorte de mise en abime du double-travestissement dans les figurations subalternes à l’intrigue. Pourquoi Mohamed, le laquais métis, est-il ici une gamine blonde en costume marin ? On s’en tiendra aux atouts d’une direction d’acteurs enjouée qui fait vivre hardiment chaque personnage non sans quelques trouvailles de jeu qui ne manquent pas leur but : faire rire. Aussi ne boude-t-on pas son plaisir face à une Mariandel clown à souhait, un Majordome irrésistible dans ses regards appuyés ou encore un Leopold athlétique et niais, en tenue de campagne – bravo à Jeanny Kratochwil pour les costumes.
BB