Chroniques

par bertrand bolognesi

Tannhäuser
opéra de Richard Wagner

Opéra national de Bordeaux
- 4 mai 2009
© frédéric desmesure

Après trente-six ans d’absence, Tannhäuser retrouve la scène bordelaise, dans une nouvelle production qui s’avère à la fois scrupuleusement respectueuse des textes (poème et partition, au-delà de quelques saines coupures) et discrètement inventive dans l’assimilation judicieuse et, cependant, non systématique, du héros au jeune Wagner lui-même. Jean-Claude Berutti s’interroge, dans la suite du compositeur, sur la place de l’artiste dans la société. Mais il ne radicalise pas la vision qu’il en a jusqu’à omettre l’étroite intrication entre l’expression d’un créateur et les sublimations qui l’éclairent. Banni, enfoui dans un humus qu’on ne saurait croire indifférent, voilà Tannhäuser dans un Venusberg souterrain, lit noir qui surgit sous les racines-lianes de bouleaux dénudés par l’hiver, souverain inconscient de tous ses désirs dont il n’a de cesse de s’échapper. La satisfaction, c’est la mort, pourrait-on résumer.

De fait, c’est bel et bien dans sa fragile oscillation sur des bords exquisément interdits que s’intensifiera dès lors son plaisir. Le retour au monde en désigne joyeusement les limites. Elisabeth, alors rêvée en Venus, protège d’un amour plein - car ici, la virginité n’induit pas l’innocence – le chanteur qui veut bien croire avec elle pouvoir se reconquérir à Rome. Nouveau mouvement, nouvelle stimulation : Rome est un leurre qui refuse le pardon papal, révélant malgré elle le génie créatif comme le plus grand des dieux. Rien ne domptera l’artiste, au seul service de son art : encore titillé par ce qui l’entoure, dans les premiers actes, Tannhäuser naît une seconde fois dans la procession funèbre d’une sainte qu’il pourrait bien avoir inventée, une procession de théâtre dans le cloaque de laquelle il dé-borde encore et enfin, jusqu’à la mort.

N’allez pas croire, à me lire, revendicative la mise en scène, cependant. Elle éclaire sans franchement manipuler – si tant est qu’une mise en scène ne manipule pas. Attentive à chaque rôle comme au chœur auquel elle offre de dépasser sa dimension strictement vocale, sans pour autant que sa présence parasite l’essentiel, la réalisation de Berutti sait ménager, avec la complicité de Colette Huchard pour les costumes, de Rudy Saboungi pour le décor et de Laurent Castaingt pour les lumières, des espaces scéniques au réalisme signifiant.

Toujours d’une grande tenue, partant volontiers du détail chambriste pour atteindre peu à peu de plus larges proportions, la lecture de Klaus Weise, à la tête de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, place sa sensible intelligence musicale dans une hauteur de vue qui jamais ne concède à une dramatisation excessive. Outre que l’on appréciera la prestation délicatement nuancée des artistes du Chœur de l’Opéra National de Bordeaux que dirige Jacques Blanc, on ne manquera pas de saluer un plateau vocal judicieusement choisi que caractérisent de nombreuses prises de rôles. Vénus généreuse et envoûtante de Sylvie Brunet, Pâtre irréprochable de Christine Tocci, Reinmar solide et attachant d’Eric Martin-Bonnet, remarquable Wolfram au timbre clair et élégamment phrasé du jeune Levente Molnar, timbre charismatique de Marek Wojciechowski en Hermann, lumineuse Elisabeth de Heidi Melton, enfin Tannhäuser évident et gracieux de Gilles Ragon, parfaitement à son aise dans ce répertoire qu’on lui souhaite d’explorer plus avant, pour notre plaisir.

BB