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Chroniques
Der Rosenkavalier | Le chevalier à la rose
film de Robert Wiene – musique de Richard Strauss
Tout en donnant au XXe siècle naissant des gages de sa modernité – Salome (1905) et Elektra (1909) –, Richard Strauss rêve de comédie de mœurs dans l'esprit de Mozart, avec Casanova à la place de Don Juan. Der Rosenkavalier Op.59 est donc mis en chantier dès 1909, mais plutôt que des Mémoires du célèbre libertin, Hugo von Hofmannsthal s'inspire de la Vienne galante de l'impératrice Marie-Thérèse (vers 1750) et, pour le dernier acte, conseille au compositeur l'esprit d'une valse « quelque peu démodée, tantôt douce, tantôt cocasse ». Après les héroïnes antiques et vénéneuses, Strauss propose une amoureuse moderne, joyeuse et mélancolique, que le public de la Staatsoper de Dresde découvre le 26 janvier 1911, lui réservant un triomphe retentissant – le satirique Lustige Blätter caricature ces mélomanes arrivant de toute l'Europe, par des trains spécialement affrétés, pour assister à l'une des quarante-neuf représentations suivantes.
La maison de production autrichienne Pan-Film – ainsi que la banque qui, selon le librettiste, « n'a pas fait de difficulté pour placer deux cent cinquante mille dollars dans cette entreprise » – a sans doute vu là l'opportunité d'un beau succès commercial. En 1924, elle propose à Strauss lui-même d'adapter sa musique pour un film muet : celui-ci transforme la partition originale en musique d'accompagnement (Begleitmusik) pour laquelle les parties vocales (supprimées) sont en partie réécrites, et quelques compositions plus anciennes ajoutées. Même si Hofmannsthal a participé au scénario – en compagnie de Ludwig Nerz et du réalisateur –, ici, toute la force de l'œuvre vient de la connivence entre musique et images.
Après l'expressionniste Cabinet des Doktors Caligari (1920), à son tour Robert Wiene change de style dans ce projet gagnant en fluidité et naturalisme (à l'exception des pâmoisons amoureuses), qui replace le Maréchal dans son univers guerrier et offre à son épouse les souvenirs d'une jeunesse au couvent. Le ridicule baron Ochs, entouré au saut du lit par des domestiques hébétés, est incarné par le renommé baryton-basse Michael Bohnen – l'Opéra de Munich offrant au film, d'ailleurs, un grand nombre de figurants. Comme à Londres plus tard, Strauss dirige lors de la projection dresdoise, le 10 janvier 1926.
De ce film restauré à partir d'une copie anglaise et d'une autre tchèque, les dernières minutes manquantes n'enlèvent rien au plaisir que l'on y prend au piège tendu à Ochs – remplacées par des photos de tournage, des images de bande-annonce et les inévitables intertitres. Dirigeant l'Orchestre national d'Ile-de-France, Franck Strobel séduit d'emblée par l'ampleur et la rondeur du son, et par les climats nuancés qu'il propose une heure trois quarts durant : rendez-vous clandestins pleins de tendresse, héroïsme des alertes militaires et vivacité d'un galop, parcours de la rose délicatement triomphant, goguenardise d'une mise en abime théâtrale ou élégance d'une scène de ballet, lors de la Gartenfest finale.
LB