Chroniques

par françois cavaillès

Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra de Tours
- 10 mars 2019
à Tours, Bérénice Collet met en scène "Die Zauberlöte" de Mozart...
© sandra daveau

Le dernier opéra de Mozart à voir le jour fut Die Zauberflöte. Créé à Vienne au début de l’automne 1791, saison dont le compositeur ne verrait pas la fin, il s’agit d’un hommage, du point de vue des héros (les couples Tamino/Pamina, Papageno/Papagena, et Sarastro/Nachtkönigin) comme de l’auteur, parvenu au sommet de son art – et de quelle manière ! Aussi généreux dans le genre comique, amuseur ou saltimbanque que grave et mature dans sa vision de l’existence et de la mort – « le véritable but de notre vie, la meilleure amie de l’homme et la clé de notre vraie félicité » écrivait-il dans une longue et tendre lettre à son père agonisant. L’œuvre mozartienne veut élever jusqu’au lieber Vater, le bon père de Schiller, grâce aux mêmes qualités d’amour et de bienveillance que le Schöpfer, le Créateur ainsi nommé dans l’Ode à la joie (An die Freude, 1785). Et finalement, ce petit Wolfgang originaire de Salzbourg, dont croît l’aura depuis près de trois siècles, au destin nimbé de mystères par tant et tant de biographes, peut-il se définir autrement que par son deuxième prénom, Gottlieb (devenu en Italie Amadeus), c’est-à-dire qui aime Dieu ? « Enfant ou adulte, retient Marc Vignal, Mozart voulait être aimé, et par-delà ses audaces et ses sautes d’humeur, modela largement sur ce besoin son comportement et sa musique, ce qui ne lui réussit pas toujours » (Haydn et Mozart, 2001).

À quelque source que le virtuose ait su puiser, avec le concours du librettiste, homme de théâtre et baryton bavarois Emanuel Schikaneder (à ses côtés jusqu’en franc-maçonnerie), La flûte enchantée touche la foi, l’intemporalité et la spiritualité, espace et temps, mort, obscurité et transcendance. Dès lors, avec une nouvelle production de ce grand Singspiel à l’orée du printemps, l’Opéra de Tours fait montre d’un goût exquis pour qu’on s’émerveille à chaque nouvelle saison de notre climat tempéré.

L’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours assure trois heures durant un apport incroyable au spectacle. Son chef Benjamin Pionnier, également directeur de l’institution, veille au bon respect des différents rythmes et harmonies pour subjuguer l’assistance (ah, l’irrésistible quintette du premier acte !) et mener les mélodieux chanteurs jusqu’aux fabuleux coins de l’opera buffa et de la musique maçonnique. Ne serait-ce que l’Ouverture, bien contrastée, ou le soin pour habiller chaque rôle de ses justes couleurs, créer l’atmosphère de chaque lieu imaginaire, sans parler de l’accompagnement des airs, immenses aussi bien qu’efficaces en ce qui concerne les soprani... La liste mène à un paradis lyrique. Sans la compléter tout à fait, les musiciens tourangeaux s’avèrent bons joueurs et, par conséquent, la salle aussi.

Maintenant, Amadeus, l’as-tu entendu ? De la galerie bigarrée des personnages de ton invention devenus vivants cet après-midi, lequel accueille ton esprit ? Parmi les chanteurs les plus en vue, Jérôme Varnier (Sarastro) et Marie-Bénédicte Souquet (Reine de la Nuit) ont l’étoffe mozartienne, chacun selon ses lignes vocales distinctes mais avec semblables maîtrise de l’émission et beauté du timbre. Dans l’ordre brillant du second acte, l’hymne à Isis et Osiris est inoubliable grâce au souffle pur de la basse [lire nos chroniques des 7 avril et 21 septembre 2003, du 10 février 2005, des 28 février et 8 septembre 2012, du 3 décembre 2013 et du 9 juin 2017], puis le grand air de la souveraine assoiffée de vengeance lève de hautes vagues desquelles le captivant soprano propulse sur la crête [lire nos chroniques d’A midsummer night’s dream et de Dardanus].

La Pamina de Marie Perbost regorge de jeunesse, de clarté et d’effusions [lire notre chronique du 2 février 2019] tandis que son Tamino est tenu avec vaillance et nervosité par Florian Laconi [lire, entre autres nombreuses chroniques évoquant l’artiste, celles de Tosca, Hérodiade, Les contes d’Hoffmann, Carmen, etc.]. Monostatos ardu, à la violence crue, le ténor Olivier Trommenschlager se montre surtout bon comédien et plein de vitalité. Dans la masse impressionnante des prêtres, le baryton-basse François Bazola signe une performance magistrale (Orateur), le ténor Camille Tresmontant, au timbre superbe et à l’articulation solennelle, n’est pas en reste en Premier Prêtre [lire nos chroniques des 4 mars et 11 août 2018, puis des 14 juin et 27 décembre 2017], de même que le Chœur maison, radieux et revigorant à l’avant-scène ou fascinant en coulisses dans « le premier oratorio de la religion de l’humanité » (cf. George Bernard Shaw). Un peu raidis par l’entrée en scène, les Trois Garçons prennent vite du galon... bravo aux fillettes de la Maîtrise du Conservatoire Francis Poulenc de Tours ! Enfin, Mozart fait-il l’imbécile en Papageno ? Oui, on dirait bien... et avec plaisir, sous le gracieux effet orchestral lors de sa présentation et grâce au baryton bien posé de l’énergique Régis Mengus [lire nos chroniques de La bohème et de Faust], très applaudi dans son duo final avec la Papagena délurée du soprano Marion Tassou [lire notre chronique du 9 décembre 2016].

Pour contextualisation historique, à l’automne 1793 (couic !) plus besoin de perruque pour celle qui restera à jamais la dernière reine de France et de Navarre : aux heures triomphales de La flûte enchantée à travers l’Europe s’est aussi étendu la guillotine pour tous, par souci d’égalité, de bonne aise et d’efficacité selon le principe, inscrit au code pénal français depuis 1791. En pensant qu’on a guillotiné à tout-va et que Mozart fut reconnu magicien sans aucun truc, on perd toutes illusions. C’est là où se tient la conception de la mise en scène de Bérénice Collet, comme expliqué en notice dramaturgique dans la brochure de salle : « composé en 1791, Die Zauberflöte est un opéra antirévolutionnaire par excellence, conservateur d’un ordre du monde fondé sur les inégalités, qu’elles soient sociales ou de genre, dans le même temps où en France la Révolution battait son plein et où les femmes commençaient à lutter pour leurs droits ».

Un prologue féministe est ajouté et, sur ce canevas général peu théâtral mais fort dramatique, aux costumes sobres et élégants de Christophe Ouvrard (longs manteaux gris de prédateurs, costards-cravates des arrogants associés), les figures féminines sont les plus mises en valeur. Les Trois Dames sont campées en formidables Amazones par l’ample soprano de Yumiko Tanimura, celui plus léger et charmeur de Clémence Garcia [lire notre chronique du 8 août 2017] et le mezzo vigoureux de Delphine Haidan [lire nos chroniques d’Ariane et Barbe-Bleue, Madama Butterfly et Iolanta]. Personnage-clé, la Reine de la Nuit cultive une ambiguïté intéressante et sensible au premier coup d’œil, grâce aux changements vestimentaires (d’une tunique aux tons sablés à l’uniforme sombre des oppresseurs) et à une courte coiffe blonde peroxydée.

Les décors méticuleux et originaux de Christophe Ouvrard, transposant les codes maçonniques dans une sorte de club à l’anglaise, les vidéos très présentes de Christophe Waksmann et la poésie des lumières de Bérénice Collet et d’Alexandre Ursini sont autant de réussites, dans cette proposition intelligente dans sa modernité pertinente et son adroit détournement, le tout rudoyant sans dommages le vieux ton farceur et respectable du conte à saveurs orientales – et puis, schnip ! Monsieur Johannes Chrysostomus Wolfgangus Theophilus Mozart s’en est allé sans laisser d’autres notes pour l’opéra.

FC