Chroniques

par bertrand bolognesi

La bohème
opéra de Giacomo Puccini

Opéra de Nancy
- 26 décembre 2002
La Bohème (Puccini) par une jeune équipe à l’Opéra de Nancy
© ville de nancy

Adieu tendres reconstitutions d'un Paris misérabiliste au charme de pacotille, avec affiche Dubonnet, bougnats adossés aux candélabres et autres mièvres stéréotypes. Adieu points d'orgue hypertrophiés du tenorissimo rouge anté-apoplectique, adieu guimauve et rubati collants de sirop ! L'équipe réunie autour de Jean-Claude Berutti (sur scène) et Paolo Olmi (en fosse) conjugue ses forces vers une version dépoussiérée de La Bohème, intelligemment minimaliste, reposant sur une lecture musicale rigoureuse et sans emphase doublée d'une minutieuse direction d'acteurs. Qu'on ne se méprenne pas : il s'agit d'une renaissance, non d'une énième révolution. Tout ce qui est proposé et exprimé ici vient de l'ouvrage lui-même, avec génie et sans préjugés. C'est une Bohème humaine, lorgnant vers le néoréalisme de Rossellini et De Sica à travers la rétroprojection vidéastique du premier tableau, d'une grande poésie. Surprise : le public écoute vraiment le texte, comme au théâtre, dans une étonnante participation affective.

Regardons à l'entour : on rit franchement, sans condescendance, durant le second tableau, et des larmes généreuses sabotent le fond de teint de ma voisine de gauche pendant les vingt dernières minutes. Sentimentalisme ? Rien de cela, simplement une proposition qui amène l'assistance à une sorte d'intimité avec les personnages, se trouvant elle-même prise géographiquement dans l'action grâce au zinc du deuxième tableau, et la réelle complicité des quatre bohèmes, presque sans jeu. L'on s'incline.

Le plateau vocal affirme une rare homogénéité.
La Musetta de Cécile Perrin chante son aria du réveillon avec une délicieuse gouaille. Très présents, les garçons offrent une appréciable unité, tant pour les timbres que pour le savoir-faire. Une humeur facétieuse lie Jean-Luc Ballestra (Schaunard), Pauls Putnins (Colline) et David Grousset (Marcello). Quelques réserves s'adressent à la touchante Mimi d'Alketa Cela, trop résolument vocale. Comment croire à la fragilité du personnage ? Pas une phrase dont on ne puisse penser qu'elle soit chantée, rendant par là-même son texte incompréhensible. Cela n'enlève rien à un vrai talent, mais l’on pourrait avantageusement se passer d'en souffrir la redondante démonstration. Regrettons ensuite une certaine usure du Rodolfo de Konstantin Andreïev : cet artiste possède une voix un brin moins puissante que ses trois coéquipiers et, à force de force, pour ainsi dire, l'organe fatigue dès après l'entracte. C'est dommage, car indéniablement l'option théâtrale du rôle prenait ingénieusement en considération le caractère et les propriétés de cette voix sans que son enveloppe eût eu à se soucier d'une concurrence qui n'avait pas lieu d'être. Enfin, Pauls Putnins précipite le rythme de son aria de dernier tableau et, sous l'émotion de l'ombre d'une erreur, la voix se fait plus caverneuse et moins sûre, précisément à l'instant où elle doit s'exprimer. Ces trois petits soucis n'en forment qu'un seul – une sorte d'excès de volonté qui fragilise au point d'amener le refuge dans des directions malvenues –, et c'est tout naturel lorsqu'il s'agit d'une première où chaque chanteur – sauf Antoine Normand pour Benoît et Konstantin Andreïev – se jette à l'eau d'une prise de rôle.

L'interprétation de Paolo Olmi, à la tête de l'Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy, est en parfaite adéquation avec l'option de mise en scène, précise, alerte, rigoureuse, bien que jamais au détriment d'une certaine tendresse. Cette lecture ne fait pas autre chose que de servir scrupuleusement la partition et d'aider pas à pas les chanteurs.

BB