Chroniques

par bertrand bolognesi

Tosca
opéra de Giacomo Puccini

Opéra de Rouen Haute-Normandie
- 6 mai 2005
Tosca (Puccini) massacré à l'Opéra de Rouen par un nom oubliable...
© éric bénard

Dernier grand rendez-vous de la saison de l'Opéra de Rouen, cette Tosca est servie par un plateau vocal assez peu convainquant. Si l'on remarque le Sciarrone de Jean Teitgen, avec une voix parfaitement placée et maîtrisée, le rôle reste mince et ne suffit pas à faire apprécier l'ensemble. Mihajlo Arsenski est un Spoletta gentiment scolaire, Marc Fouquet un Angelotti plutôt terne et souvent engorgé, tandis que Jean-Pierre Marlière campe un sacristain sympathique et sonore.

Le trio de tête est décevant. Marc Mazuir chante un Scarpia beaucoup trop confidentiel dont on n’imagine pas même qu'il puisse représente quelque danger pour l'héroïne, de sorte que le meurtre n'a plus de sens. Carlo Guido possède incontestablement un timbre richement coloré et de grands moyens, véritables dons du ciel qu'il a insolemment oublié de cultiver et qui s'en vengent bien : son Mario affiche continuellement une puissance écrasante, interdisant toute souplesse, si bien qu'échoue la seule tentative de nuancer le chant – pour E lucevan le stelle. Enfin, Hélène Bernardy est une Tosca attachante, à laquelle il semble toutefois manquer un certain tempérament et la vaillance nécessaire (compte non tenu que la perception qu'on en a est troublée par la « décibélite aigue » du ténor).

À la tête de l'Orchestre de l'Opéra de Rouen, Oswald Sallaberger propose une lecture très précisément articulée dans une sonorité extrêmement construite, offrant l'avantage d'une plénitude rare et l'inconvénient d'un geste musical qui ne parvient pas à naître, tout prisonnier qu'il reste du souci du détail. Il y a presque un an, nous avions apprécié son efficacité dans le Gloria de Puccini [lire notre chronique du 17 juin 2004] ; ce soir, il semble qu'il soit passé à côté de la sensualité de la partition, ce en quoi son interprétation accompagne judicieusement une production qui ne voit aucune histoire d'amour dans l’ouvrage. De même semble-t-il que les approximations auxquelles s'adonnent le Chœur maison, contrairement à son habitude, et les enfants de la Maîtrise de Seine-Maritime, soient redevables d'un mouvement de plateau inadapté qui vient perturber la prestation.

Ainsi qu'en témoignent de nombreuses pages de notre média, c'est sans aucune frilosité que nous abordons des mises en scène tentant d'éclairer moins conventionnellement le répertoire lyrique. Au contraire, un grand intérêt nous porterait plutôt à encourager la réflexion et le courage de telles démarches – plût au ciel que tous les metteurs en scène aient autant de bienveillance à traiter leur sujet que nous en avons à apprécier leur travail. Nous continuons de croire qu'une mise en scène se devrait de puiser ses choix, options et parti-pris dans une analyse précise du premier matériau – à savoir : le livret, la pièce originale qui l'inspira si c'est le cas, suscitant une comparaison active entre les deux, la partition, les documents à travers lesquels auteur, librettiste, compositeur purent s'expliquer quant à la volonté ou l'opposition qui dynamise leur entreprise commune, mais aussi une connaissance aigue du contexte de la création de l'œuvre, des personnalités qui s’y prêtèrent, de sa réception par le public d'alors, et en général de l'histoire de son interprétation, tout simplement.

Bien sûr, mettre en scène n'est pas uniquement organiser des corps dans des espaces sous des lumières : c'est un acte artistique à part entière. Mais l'opéra présente des contraintes qui, si on admet de les considérer, viennent avantageusement stimuler l’interprétation plutôt que la brimer – si tant est que l'artiste à qui l'on confie une production accepte de s'ouvrir à elles au lieu de leur imprimer une patte autoritaire qui, la plupart du temps, n'occasionnera qu'une impuissante natation. À quiconque il ne semble pas possible de s'ingénier à préserver sensiblement et intelligiblement le précieux et fragile équilibre de tels ouvrages tout en trouvant à s'y exprimer personnellement, nous conseillons d'écrire lui-même un opéra… pour peu qu’il en ait le talent et l'audace.

BB