Chroniques

par laurent bergnach

Akhnaten | Akhenaton
opéra de Philip Glass

YouTube / Opéra Nice Côte d’Azur
- 15 janvier 2021
"Akhnaten", opéra de Philip Glass vu à Nice à l'automne 2020
© dominique jaussein

Évoluant vers un art dit minimaliste après sa découverte de la musique traditionnelle indienne, Philip Glass (né en 1937) est l’auteur d’une trilogie lyrique consacrée aux grands hommes qui ont marqué l’histoire. Il y eut d’abord Einstein on the beach (Avignon, 1976) [lire nos chroniques du 14 septembre 2019 et du 16 mars 2012], Satyagraha (Rotterdam, 1980) qui s’inspire de la vie de Gandhi [lire notre chronique du 31 octobre 2017], enfin Akhnaten (Stuttgart, 1984). Le règne d’Amenhotep IV, né treize siècles avant Jésus-Christ, est considéré comme l’origine du premier monothéisme, supprimant le culte des dieux anciens pour instaurer celui d’un dieu unique : Aton, le dieu soleil. C’est à cette occasion que le pharaon adopte son nouveau nom, Akhenaton. Mais toucher à la religion d’un peuple ne se fait jamais sans heurt : le responsable est le plus souvent traité en hérétique, comme l’avait déjà montré Schönberg avant Glass, avec Moses und Aron [lire nos chroniques du 20 août 2020, du 20 octobre 2015 et du 26 février 2012].

Le natif de Baltimore a signé la musique de cet opéra en trois actes, avec prologue et épilogue, mais aussi le livret, en collaboration avec Shalom Goldman, Robert Israel, Richard Riddell et Jerome Robbins. La raison en est qu’il est presque exclusivement constitué de textes issus de cette époque – dont des poèmes d’Akhenaton lui-même – en langues anciennes (akkadien, hébreux). L’histoire s’ouvre avec les funérailles d’Amenhotep III qui réunissent les proches du futur pharaon, alors enfant : la veuve Tye, le conseiller Aye et la fille de ce dernier, Nefertiti, jeune épouse du nouveau souverain. Le défunt va à la rencontre des dieux tandis que son fils se prépare au couronnement. Tout l’Acte II montre la destruction des anciens temples et l’avènement d’une nouvelle capitale. Mais le refus d’aider militairement des princes voisins bouscule l’harmonie du règne. Désormais, Aye, le général en chef Horemhab et le grand prêtre d’Amon sont unis pour faire raser la ville d’Armana, dédiée à Aton. Un empire s’écroule que l’on avait cru immortel, comme tant d’autres après lui.

Du 1er au 7 novembre 2020, l’Opéra Nice Côte d’Azur a proposé quatre représentations d’un ouvrage rarement vu depuis sa création française (Strasbourg, 2002). Crise sanitaire oblige, c’est par visioconférence que la chorégraphe Lucinda Childs [lire notre chronique d’Œdipus Rex], en charge de la mise en scène, fit répéter les artistes – elle-même se distribue dans un rôle parlé, inoubliable, saisie par la vidéo d’Étienne Guiol [lire nos chroniques de Siroe, Giovanna d'Arco, Arminio, La donna del lago, Faust et L’enchanteresse]. Ses principaux compagnons de travail se nomment Éric Oberdorff pour l’aide à la chorégraphie et Bruno de Lavenère quant à la scénographie et aux costumes [lire nos chroniques de Don Pasquale, Lucia di Lammermoor, Philémon et Baucis, Dante et Macbeth Underworld]. D’une tournette aux couleurs changeantes du soleil, ceux-ci font le lieu unique de déplacements épurés. Tout participe à un profond dépaysement, en accord avec les surprises musicales : une fosse aux couleurs sombres amputée de ses violons – ici l’Orchestre Philharmonique de Nice, conduit avec vigueur par Léo Warynski [lire nos chroniques d’Aliados, Giordano Bruno, La Passion selon Sade et Méliès redécouvert] –, le duel de vocalises avec les prêtres déchus (Acte II, Scène 1), le duo amoureux entre une haute-contre et un mezzo-soprano (Acte II, Scène 2), etc.

Charismatique à souhait, Fabrice Di Falco interprète le rôle-titre avec expressivité [lire nos chroniques de La conférence des oiseaux et des Quatre jumelles], souvent entouré de Julie Robard-Gendre en Nefertiti [lire nos chroniques d’Orphée et Eurydice, Eugène Onéguine, Nabucco et Der Zwerg] et de Patrizia Ciofi en Tye [lire nos chroniques des Contes d’Hoffmann, de Manon, La bohème, Hamlet, Les Huguenots, I Capuleti e i Montecchi et La clemenza di Tito]. Le trio d’opposants réunit Joan Martín-Royo (Horemheb), Vincent Le Texier (Aye) et Frédéric Diquero (Grand Prêtre), d’une grande égalité sur toute la tessiture. Parmi les six princesses, Karine Ohanyan est proche de jeunes consœurs issue du CALM (Centre Art Lyrique de la Méditerranée). Enfin, il faut évoquer l’engagement du Chœur maison, préparé par Giulio Magnanini, et la participation des élèves du Pôle National Supérieur de Danse Rosella Hightower.

LB