Chroniques

par françois cavaillès

Manon
opéra de Jules Massenet

Opéra de Marseille
- 29 septembre 2015
à Marseille, Renée Auphan met en scène la Manon de Jules Massenet
© christian dresse

Le plus bel air de Manon Lescaut, c’est encore celui que lui donne tout le roman original de l’abbé Prévost. Sur les scènes d’opéra, le personnage diffuse largement, depuis Jules Massenet, un parfum Belle Époque tandis que se dissipe son héroïsme, ainsi dans la nouvelle production de Manon qui ouvre la saison de l’Opéra de Marseille. De prime abord, voici la rencontre entre jeu théâtral classique, aux bons soins de Renée Auphan pour la mise en scène, et musique souvent subtile, car brillante et amusante – en dépit d’un son généralement étouffé et trop excentré en ce qui concerne les percussions, la fosse se montrant trop petite pour l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, confié à Alexander Joel. Le tohu-bohu précédant l’entrée de Manon est une vraie réussite, grâce au talent du Chœur « maison » dirigé par Emmanuel Trenque. Puis on découvre la jeune femme, et comme une autre conception du rôle et, par-delà, de Manon

Tout d’abord, des coupes dans le livret privent d’un effet majeur de l’opéra-comique, à savoir ces petites longueurs, banalités entre personnages secondaires, qui fondent l’apparition de l’héroïne portant les attentes et la foi du public. Mal introduite, Manon semble ensuite bien transparente, sans allure, simple fille suscitant peu d’émotion, y compris dans les échanges très distants avec Lescaut, pourtant son cousin et ultime confident avant le couvent. La rencontre avec Des Grieux la présente pour le moins timide et soudainement amoureuse sans raison. Le couple n’existe pas, et ce – hélas ! – pour toute la représentation.

Le premier acte, au parti-pris étonnant d’une Manon midinette, se referme sans grand charme, inodore. Mais les plaies sont assez vite pansées dans l’appartement de la rue Vivienne, avec enfin une atmosphère, comme en clin d’œil à La bohème peut-être. Très gracieux, le duo des deux fugitifs transporte, sur les ailes d’un orchestre à ravir. Sur le plan vocal, toute la distribution se montre impeccable, à l’instar de Patrizia Ciofi et Sébastien Guèze dans les premiers rôles. La complicité et l’humour – en particulier du baryton Étienne Dupuis, Lescaut droit dans ses bottes puis furibond –, la vie même s’insufflent dans les beaux déploiements des chanteurs. Seule ombre au si riche tableau du deuxième acte, superbe composition de Massenet : Manon demeure victime des événements, en retrait, et son « je t’aime ! » à Des Grieux vient d’une voix tendue.

La froideur du personnage est un peu fendue par l’air Adieu, notre petite table, prouesse renversante du soprano. Avec plaisir, Manon va alors vers sa métamorphose, parfois proche de Carmen à son meilleur, et l’amour n’est plus une punition. Aux actes suivants, les costumes signés Katia Duflot et les décors de Jacques Gabel rivalisent de splendeur pour recréer les jardins, les coiffes des promeneuses, les robes longues chatoyantes ou bien les bures, le noir somptueux des habits au fabuleux séminaire. Magnifique retour à la Belle Époque, quand le bon goût de l’opéra était peut-être plus prononcé en France… Naturellement cœur de la cible, dans le rôle-titre Patrizia Ciofi s’impose, tantôt cristalline, tantôt harangueuse, incarnant enfin une femme forte de son charme, quitte à se laisser dominer par un Des Grieux enflammé mais un peu tard. Souhaitons qu’un jour, un opéra encore mieux inspiré préfère l’esprit du vrai roman d’amour original à la lettre triviale du livret de Manon qui ose conclure « et c’est là l’histoire… De Manon Lescaut ! » – vraiment, la rumeur court toujours ?

FC