Chroniques

par laurent bergnach

La Passion selon Sade
mystère de chambre de Sylvano Bussotti

Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris
- 23 novembre 2017
Léo Warynski joue La Passion selon Sade (1965), "mistero" signé Bussotti
© sandy korzekwa

Élève de Roberto Lupi et de Luigi Dallapiccola avant la guerre, de Max Deutsch au milieu des années cinquante, Sylvano Bussotti (né en 1931) affermit sa liberté créative auprès de John Cage croisé à Darmstadt, mêlant dès lors des éléments de modernité (partition graphique, hasard, etc.) à un romantisme chéri (Mahler, Berg). Le Florentin, qui, à l’instar de plusieurs membres de sa famille, dessine et peint depuis l’enfance, présente dans une galerie d’art berlinoise le premier opus de son catalogue, Breve (1958) pour ondiste. Dès lors il s’intéresse à favoriser le théâtre musical. La rencontre de Cathy Berberian est marquante puisque, après la création française de Lettura di Braibanti (1960), la muse excentrique de Berio devint l’héroïne de La Passion selon Sade.

Présenté le 5 septembre 1965 au Teatro Biondo de Palerme, ce mistero da camera possède une structure aléatoire, fondée sur des pièces chambristes préexistantes ou écrites pour l’occasion – ainsi Solo dans une version pour orgue et la page pour flûte Rara, confiée ce soir à l’exemplaire Matteo Cesari dont on connaît l’engagement pour l’art d’aujourd’hui [lire nos chroniques du 8 juin 2016 et 29 mars 2012]. Guidés par Léo Warynski, huit musiciens de l’ensemble Multilatérale jouent en fond de scène, derrière un rideau qui s’ouvre, à l’occasion. D’une main douce, ils accompagnent les caresses des protagonistes, quand les tableaux plus démoniaques appellent leur fougue (table d’harmonie fouettée, cloches tubes, etc.). Ils sont aussi comparses, riant à leur pupitre ou dansant par couples hétérogènes près de la rampe.

Incontournable dans la création ces dernières années [lire nos chroniques du 12 mars et 19 avril 2016, et du 17 mars 2015], Antoine Gindt introduit ce fascinant spectacle par des phrases de Français, encore un effort si vous voulez être républicains, discours sadien qui fustige à raison l’hégémonie religieuse et la peine de mort (1795). Charismatique en politicien décalé, le comédien Éric Houzelot l’est plus encore en revêtant les soieries du Marquis dans un boudoir tendu de vert, personnage quasi muet inventé par le directeur de T&M-Paris pour éduquer, tourmenter et chérir Justine « O » Juliette, jeune femme entre vice et vertu.

Vêtue d’une robe rouge, celle-ci a pour interprète Raquel Camarinha.
La suggestive Sonata erotica (1919) d’Ervín Šulhov (Schulhoff) qu’elle livre d’emblée préludent aux vocalises autour d’un sonnet de Louise Labé (1524-1566), Ô beaux yeux bruns, au contenu gommé. Elles rappellent combien le chant est le versant poli de l’exultation charnelle, à mesure qu’une inquiétude mezza voce laisse place à des notes affirmées où s’apprécie un soprano ample et chaleureux. Bandeau et cravache changent de main ; sa victime domine à présent notre maître ès libertinage, laissé à terre. Sur le départ, la complice abandonne le jeu avec un berçant Blute nur, Du liebes Herz, allusion à la trahison de Judas extraite de la Matthäus-Passion BWV 244 (1727/1736) de Bach.

LB