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Chroniques
A midsummer night's dream | Le songe d’une nuit d’été
opéra de Benjamin Britten
Reprendre des productions dites historiques, parce qu’elles furent pour la première fois présentées au public il y a plusieurs décennies, ne s’avère pas toujours très heureux. Ainsi fûmes-nous déçus, il y a quelques jours, face au Rake’s Progress que John Cox réalisait en 1975 dans le décor de David Hockney [lire notre chronique du 20 juillet 2023]. Sans doute faut-il mettre sur le compte du fameux adage l’exception confirme la règle la reprise de la mise en scène de Peter Hall, créée en 1981, du Midsummer night's dream de Britten, car voilà une réussite, et sur tous les plans ! Remontée par les soins de la chorégraphe Lynne Hockney, le spectacle quadragénaire bouleverse une nouvelle fois l’ici et maintenant dans la nuit des fées, sous le scintillement d’étoiles de rêve. À l’instar de ses nombreux travaux pour l’opéra [lire nos chroniques d’Orfeo ed Euridice, L’Incoronazione di Poppea, Fidelio et Albert Herring], l’homme de théâtre britannique, né en 1930 et disparu en 2017, trouvait alors un chemin évident bien que toujours personnel dans l’œuvre de son compatriote. Ici, l’imagination est reine, dans la scénographie poétique et ingénieuse de John Bury dont la forêt domine en univers consacré des contes. Le fait de laisser apparent l’usage de la machinerie pouvait paraître s’inscrire dans une distanciation, il y a quarante ans, même s’il fait peut-être référence aux Artisans de la pièce shakespearienne ; aujourd’hui, plus personne ne se pose la question et ne voit rompu le charme. Lauren Poulton et Luke Murphy signent brillamment l’actualisation des lumières de Paul Pyant. Mêlant les époques et les styles, les costumes brassent large, avec des références à l’Angleterre d’Elizabeth I mais encore au XIXe siècle qui marque encore le compositeur dans son approche de la célèbre féérie Renaissance, ainsi qu’à l’univers fantasy pour ce qui est des oreilles des uns et des coiffures des autres. C’est un perpétuel chatoiement qui ravit le spectateur, sans relâche.
Coutumier de l’œuvre, et des partitions de Britten en général, le Trinity Boys Choir, dirigé par David Swinson, n’est absolument pas mis en difficulté par l’harmonie souvent difficile de cette musique. Et sans se contenter de chanter si bien, ce qui en soi est déjà formidable, ces jeunes voix révèlent encore des comédiens investis et énergiques dans des semi-pitreries. Tout cela est fait avec infiniment d’esprit. À la tête du London Philharmonic Orchestra, la jeune cheffe d’origine ukrainienne Dalia Stasevksa, actuellement en poste au BBC Symphony Orchestra ainsi qu’au Sinfonia Lahti [lire notre chronique d’Eugène Onéguine], signe une interprétation grandement nuancée et très attentive aux atmosphères, chargée d’une belle puissance évocatrice, ce qui contribue à l’enchantement global.
L’équipe vocale est plus qu’efficace.
Inventif dans son jeu, impeccable quant à son rôle, le jeune Oliver Barlow campe un Puck plus vrai que nature dont s’impose un charisme à toute épreuve. Les couples que déchire ce vilain esprit, qui n’est drôle que d’apparence et sème continuellement le doute et l’intranquillité, sont royalement servis, eux-aussi. Le soprano Lauren Fagan, dotée d’une expressivité enjôleuse, apporte à Helena le brio qui lui convient. Le timbre ambré du mezzo Rachael Wilson est un atout vaillamment mis au service d’Hermia [lire nos chroniques de Lulu, Oberon, Parsifal et Otello]. Ténor ardent, avec une émission facile et une incontestable élegance dans la ligne, Caspar Singh fait vivre Lysander [lire nos chroniques de Capriccio, Iolanta et Der Rosenkavalier], quand le baryton australien Samuel Dale Johnson prête à Demetrius une voix enveloppante et ferme à l’aigu cuivré. D’un mezzo plus autoritaire, Rosie Aldridge livre une Hippolyta parfaite [lire nos chroniques de Káťa Kabanová et de Peter Grimes] qui répond au Theseus très impacté du baryton-basse Dingle Yandell.
Quant aux souverains de ce monde improbable, ils sont incarnés avec superbe par Soraya Mafi et Tim Mead. La première donne à la reine une fraîcheur apparentée à la lumière, avec une intonation d’une précision exemplaire [lire nos chroniques de Falstaff, La divisione del mondo, Hänsel und Gretel et Mitridate]. Le second exulte par la clarté et la présence, la diction aussi, bref tout ce qui fait un grand Oberon qui bénéficie de l’expérience baroque de l’artiste [lire nos chroniques de Lotario, Admeto, Golem, Ercole amante, Agrippina, Tamerlano, Written on skin, Serse à Caen, Stabat Mater et Jephtha].
Enfin, Le songe d’une nuit d’été ne saurait se passer d’une fine bande de mechanicals, ces mauvais histrions athéniens chers au poète. Dominé par l’excellent Brandon Cedel, Bottom protéiforme et bien chantant [lire nos chroniques de d’A midsummer night's dream, Don Giovanni, Serse à Francfort, Les Troyens, De la maison des morts puis Hercules], le sextuor est croustillant à souhait. On y applaudit Henry Waddington en Quince [lire nos chroniques de Saul et de Jakob Lenz], Patrick Guetti en Snug caverneux comme jamais – un Commendatore ! –, Alasdair Elliott en Snout, James Way en Flute donizetien [lire notre chronique d’Il trionfo del tempo e del disinganno] et Alex Otterburn en fort drôle Starveling. L’enthousiasme de la salle ne trompe pas, chacun se sent ici privilégié d’avoir pu goûter la saveur de ce merveilleux Midsummer night's dream !
HK