Chroniques

par bertrand bolognesi

Lotario | Lothaire
opéra de Georg Friedrich Händel (concert)

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 15 juin 2005
le chef Paul Goodwin photographié par Ben Aalovega
© ben ealovega

La saison touchant à sa fin, le Théâtre des Champs-Élysées convoque les händéliens fidèles à un dernier rendez-vous : Lotario, opéra en trois actes composé en 1729 par le Grand Saxon d’Albion sur un livret de Rossi – adapté de Salvi qui s’était inspiré assez librement de l’histoire du Saint Empire au Xe siècle et du règne d’Otton Ier – et créé à Londres à la fin de l’année même, est donné en version de concert. Injustement méprisé en son temps, l’ouvrage révèle un sens dramaturgique hors du commun, sur un argument qui, traité par un autre musicien, eut put facilement s’avérer ennuyeux. Tous les ingrédients sont réunis pour un menu croustillant, amour et pouvoir y croisant une nouvelle fois leurs routes.

À la tête du Kammerorchester Basel, Paul Goodwin [photo] présente une lecture d’une grande clarté qui soigne infiniment les timbres sans jamais s’aventurer à trop accuser les contrastes. En cela, elle montre Händel comme un précurseur du classicisme tout en l’affirmant héritier de l’âge baroque. C’est dire la finesse de vue d’un chef soucieux des équilibres qui ne cède jamais à la tentation d’une accentuation caricaturale. Si son interprétation est relativement distante sur le premier acte, le prélude du suivant, avec sa sonnerie de trompette, engage encore un peu plus l’orchestre comme un moteur essentiel du drame. Lorsque la crise politique se radicalise, Goodwin souligne un relief nouveau avec une tonicité croissante, à mesure que la situation s’embrouille jusqu’à la sclérose tragicomique de la fin de l’acte médian. Le dernier épisode est amorcé dans une sorte de lassitude où l’on voit à l’œuvre un Händel parodiant avec superbe ses propres conventions artistiques afin d’exprimer l’inertie précédant le dénouement qu’avec d’autant plus de bravoure il peut éclairer. Saluons les instrumentistes de la formation bâloise qui nuancent savamment une couleur délicate tout au long de cette exécution, particulièrement Simon Lilly pour sa belle réalisation du solo de trompette de la Scène 5 de l’Acte III.

Lotario réunit six voix.
Si l’Adelaide de Nuria Rial brille par des recitativi mordants où point un tempérament d’une théâtralité directe, le jeune soprano ne convainc guère dans les arie. L’émission manque d’égalité, la place bouge et la nuance confond souvent pianissimo avec détimbré. Du coup, le chant ne semble jamais vraiment assumé et porte peu, suggérant un personnage plutôt mièvre que l’à-propos des récitatifs vient contredire. Aujourd’hui, cette artiste se trouve mieux distribuée dans un répertoire plus ancien ou dans la musique religieuse. En Clodomiro, Hubert Classens, un rien brumeux dans le récit,rencontre quelques soucis de justesse, avec un aigu parfois à l’emporte-pièce, ce qui ne l’empêche pas de réussir l’aria fermant la cinquième scène du II, Non t’inganni la speranza. L’inflexible Matilde convient bien à Kristina Hammarström qui se garde avantageusement d’en faire une furie : le personnage est déterminé, dominé par son orgueil, et ce n’est qu’avant le dénouement qu’il se déchaîne. Avec une précision appréciable, un phrasé bien mené, la chanteuse offre des vocalises joliment réalisées.

Encore élève du Royal College of Music, le contreténor Tim Mead est idéalement distribué en Idelberto. La jeunesse du timbre et une présence discrète et attachante servent bien le rôle. À ce jour, la voix paraît encore un peu droite, et manque de la couleur nécessaire à développer une expressivité plus partageuse, mais son interprétation du Bella, non mi negar (II) laisse augurer de bonnes surprises pour les années à venir.

Enfin, la soirée est dominée par deux hommes : l’immense Berengario du ténor James Gilchrist qui s’adonne à plus d’un numéro de voltige tout en s’imposant par une projection exemplaire, et Lawrence Zazzo dans le rôle-titre, dont la voix souple et généreusement sonore se met au service d’un art authentiquement précieux. Si l’on se souvient de ses remarquables prestations dans Agrippina, ici-même, Rinaldo à Montpellier ou encore Medea (Liebermann) à l’Opéra Bastille, on observera que la plénitude de l’instrument s’exprime encore plus aujourd’hui, avec une santé vocale sans ombre, et qu’une maîtrise prodigieuse vient donner à son chant une dimension nouvelle.

BB