Chroniques

par bertrand bolognesi

Georg Friedrich Händel | Tamerlano (version de concert)
Marc Minkowski et Les Musiciens du Louvre Grenoble

Le triomphe de Händel / Opéra Royal, Château de Versailles
- 11 juillet 2012
Georg Friedrich Händel | Tamerlano (version de concert)
© marco borggreve

C’est avec Tamerlano, cet opéra de 1724, que se clôture Le triomphe de Händel, passionnant festival suivit depuis un mois au Château de Versailles. Alors que se donne la deuxième soirée du Messie à la Chapelle [lire notre chronique de la veille], nous retrouvons l’Opéra Royal dont la scène est investie par Les Musiciens du Louvre Grenoble et leur mentor Marc Minkowski.

Il n’est pas toujours aisé de présenter un opéra en version de concert. Avec leurs caractères tranchés, des situations clairement définies et des enjeux parfois complexes mais toujours nettement dessinés dramatiquement, ceux de Händel se passent aisément de mise en scène. De fait, on put constater souvent que mettre en scène ces ouvrages aujourd’hui n’était pas sans susciter quelques embûches. De plus, la virtuosité elle-même faisant sienne le contexte théâtral, il suffit parfois d’une réalisation vocale fermement engagée pour féconder l’imaginaire à vivre tout un théâtre de l’écoute, sans conteste plus fou que tous les autres [lire notre chronique du 12 juin 2012].

En ce sens, la distribution réunie aujourd’hui s’avère insuffisante.
Outre des déséquilibres flagrants de formats, voire de personnalités, elle souffre d’une inégalité de style qui, à elle seule, entrave la fluidité dramatique. Ainsi les deux rôles féminins sont-ils à comprendre à l’opposé l’un de l’autre. Le jeune soprano russe Julia Lezhneva possède assurément un timbre intéressant, doté d’une saine assise grave qui fait voyager ses harmoniques jusqu’au suraigu. Mais le soutien paraît malaisé, sinon difficile, au point d’asphyxier par endroits des rodomontades qu’on aimerait plus libres, quand il ne vient pas directement déstabiliser la hauteur. Il lui faut attendre le troisième acte pour trouver un peu plus sûrement ses repères dans le rôle. En revanche, l’Irene de Marianne Crebassa crève l’écran. Mordant le texte comme il faut, le mezzo-soprano construit d’autorité un personnage vocal d’une infinie clarté qui déploie un bel éventail expressif.

Côté messieurs, même manque d’unité.
Le court Leone est honorablement tenu par Luca Tittoto, basse bien impactée et chanteur respectueux des exigences du théâtre comme de la rhétorique baroque. Avec son registre problématique, Bazajete est un rôle redoutable. Le confier à un baryton, c’est en assurer l’ancrage dans le médium et le grave ; convoquer un ténor, c’est garantir la lumière d’aigus également sollicités par la partition. De prime abord, il semblait donc plutôt judicieux de recourir à Tassis Christoyannis, baryton dont l’aigu souplement se « ténorise » à l’occasion tout en gardant sa couleur vocale. De ce seul point de vue, tout va bien… mais encore convient-il de songer à l’interprétation. Malencontreusement, l’artiste déplace le style vers le XIXe siècle, appuyant d’une même impédance tout motif ornemental. Cette « traduction », pour ne plus vouloir dire grand chose, pourrait sans doute tenir dans un impact rossinien, mais plus large se révèle Christoyannis. Il serait bien sûr malvenu de reprocher à un chanteur d’avoir de la voix, là n’est pas le propos ; mais celle de ce soir écrase le rôle.

Christophe Dumaux campe un Tamerlano « pointu », d’une couleur une seule, fort agile toujours et, lui, parfaitement händélien, en grand habitué qu’il est de cette facture-là. Incomparablement incisif dans les récitatifs, il porte toutefois les airs d’une projection étroitement directionnelle. La tentation est grande de penser que la scène manque au contre-ténor, tant sa prestation « décolle » moins qu’au théâtre. Aussi s’en remet-il à la technique pour orner d’une mécanique bien huilée les frasques du III. Finalement, c’est l’excellent Tim Mead que l’on garde à l’oreille à l’issu du concert [lire notre chronique du 8 octobre 2011]. Plus sonore que son confrère, il livre un Andronico investit du sens du drame dès les premières mesures. L’artiste trouve à développer un riche nuancier dans sa partie, jusqu’ériger aux côtés d’Irene d’égales qualités artistiques.

À devoir sans cesse rééquilibrer les forces afin de ne pas couvrir telle voix et de plus sûrement soutenir telle autre, Marc Minkowski perd son Händel ! La Sinfonia annonçait tout autre chose que la déroutante succession de saupoudrages anémiés et de roboratives emphases à laquelle il lui faut s’adonner. Fallait-il jouer l’œuvre comme dans des conditions idéales au risque d’accuser le plateau vocal ? Vaste sujet… Toujours est-il que Tamerlano n’est pas au rendez-vous.

BB