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Chroniques
Otello | Othello
opéra de Giuseppe Verdi
Notre deuxième soirée à l’édition 2019 du Münchner Opernfestspiele, après l’intéressant Karl V de Křenek [lire notre chronique de la veille], aborde un classique du répertoire lyrique, Otello, le fameux opéra de Verdi, ayant vu le jour le 5 février 1887, à la Scala. Cet hiver, Amélie Niermeyer, qui avait déjà signé une mise en scène de La favorite pour la Bayerische Staatsoper [lire notre critique du DVD], s’attelait à une nouvelle production, reprise pendant le festival d’été de la maison munichoise.
Dans le décor de Christian Schmidt, elle place d’emblée son travail du point de vue de Desdemona que l’on découvre seule sous le haut plafond d’une vaste chambre XVIIIe siècle, quasiment vide. Telle une boîte, cet espace jauge le plateau lui-même, reproduction fidèle du même décor, où le chœur, sans jouer la situation attendue – la tempête – entame dans le noir le premier acte. Les rôles masculins sont disséminés dans le tutti choral. Peu à peu l’action se concentre sur la scène la plus proche du public, sa réplique étant alors effacée par une cloison. On retrouve la jeune femme seule, debout, en début d’Acte II, le repère spatial brouillé par une projection génialement nauséeuse de la pièce qui tourne – vidéo de Philipp Batereau. Le théâtre de l’action et celui du regard, plus précisément de la conjecture, voire de la réflexion portée sur lui par Desdemona, s’érige clairement en principe fondateur de la mise en scène. Là encore, la cloison les sépare, précisément pour le Credo d’Iago. Les costumes d’Annelies Vanlaere place l’argument dans les années cinquante, dans quelque palais vénitien délaissé par la lumière – rien de plus difficile que de peindre l’absence de soleil, ce qu’Olaf Winter réalise avec louable habileté.
Ayant confié la chorégraphie des mouvements d’ensemble à Thomas Wilhelm, Niermeyer a scrupuleusement construit les personnages et leur relation ou absence de relation. Elle nous montre un Otello fragile et manipulable, vraisemblablement intimidé par les femmes, peut-être même mauvais amant – il est assez clair qu’à l’épouse revient tout initiative d’érotisme. Chez Desdemona, c’est l’innocente intelligence qui transparaît : elle a bien conscience que quelque chose se trame, l’intuition lui dicte que ce n’est pas positif, mais une carence absolue de malice l’empêche d’entrevoir sa future marche au supplice. Si Shakespeare accordait peu d’importance à Iago, Verdi hésita longtemps avant d’appeler son opéra Otello, tant son noir capitaine revêtait d’importance dans son projet : outre qu’il s’agit bien de suivre le livret, il est donc parfaitement fidèle d’organiser toute la représentation sur cette figure redoutable. Aussi voit-on Iago tirer discrètement les ficelles, avec une bonhommie qui n’est qu’apparente. Au seul moment un rien exaspérant de la représentation – le chœur versant des litres de vin sur Cassio, c’est tout-à-fait dispensable – répondent des scènes subtilement menées : on citera le suspensehaletant de la saisie du fazzoletto, entre autres, et surtout l’ultime baiser du Maure, juste avant le meurtre, avec l’espoir, inutile et atroce, de sa victime.
Engagé à trois cents pour cent dans cette option, l’excellent Gerald Finley compose un Iago insoupçonnable, un félin de terrible envergure, avec le génie d’acteur qu’on lui sait [lire nos chroniques de Parsifal, Die Meistersinger von Nürnberg et Lear, entre autres]. Dans le jeu comme dans le chant, le baryton-basse canadien s’écarte adroitement des stéréotypes d’un rôle qu’il recrée puissamment. Tous ont naturellement confiance en lui, le pire des hommes pourtant, à commencer par l’ambitieux Roderigo de Galeano Salas, subjugué. Le Cassio lumineux d’Evan LeRoy Johnson est aisément dupé, lui aussi, grand garçon que sa candeur place dans la même famille que Desdemona. Après la défection de Jonas Kaufmann, le rôle-titre est assuré par Zoran Todorovich grâce auquel la soirée n’est pas annulée. Un seul être résiste à l’hypocrisie galopante d’Iago : Emilia, sa femme, qui tente de déjouer ses plans, tenue par la bien chantante Rachael Wilson [lire nos chroniques de Lulu et d’Oberon]. En Desdemona, on retrouve une Anja Harteros en-deçà de ses possibilités : la voix est un peu dure, ce soir, l’incarnation assez terne, sauf dans l’agonie, bouleversante. Les rôles secondaires sont fort honorablement assumés, du souple Montano de Milan Siljanov au Lodovico solide et noble de Bálint Szabó, avantageusement projeté, en passant par Markus Suihkonen, Héraut très stable.
Ce n’est pas un secret, nous apprécions grandement le talent incomparable de Kirill Petrenko, salué maintes fois dans nos colonnes [lire nos chroniques du 19 août 2013, du 18 mars 2014, du 13 décembre 2015, du 31 juillet 2016, du 12 septembre 2016, des 9 et 22 juillet 2017, puis des 16 et 31 juillet 2018]. Aussi nous en coûte-t-il beaucoup de devoir avouer le peu de plaisir pris à écouter sa lecture tonitruante d’Otello. Sans s’encombrer de la ciselure verdienne, le chef russe profite en goinfre des sonorités opulentes et du brio du Bayerisches Staatsorchester, faisant rutiler la fosse dans de fâcheux écarts de proportions. La formidable énergie des premiers pas se noie dans une percussivité abusive, à rebrousse-poil du raffinement de la production. Un concert à Budapest nous avait donné occasion de percevoir cette tendance chez Petrenko [lire notre chronique du 19 avril 2015] ; elle se double ici d’un alanguissement démesuré de la scène finale. Une fois encore, les artistes des Chor und Kinderchor der Bayerischen Staatsoper font florès, sous la direction avisée de Stellario Fagone.
BB