Chroniques

par katy oberlé

Turandot
opéra de Giacomo Puccini

Teatro Comunale Luciano Pavarotti, Modène
- 17 mars 2024
À Modène, reprise réussie de la TURANDOT (Puccini) de Giuseppe Frigeni...
© rolando paolo guerzoni

Elle n’est plus toute jeune, cette production du dernier opéra de Puccini (version Alfano) ! Elle connut sa première en 2003, au Teatro Communale de Modène. Depuis, elle a visité de nombreuses scènes italiennes, à Parme, Plaisance, Ravenne, Rimini, etc., sans oublier Tenerife. Giuseppe Frigeni est l’auteur de la mise en scène, scénographie, la lumière et la chorégraphie. Comme à son habitude [lire nos chroniques de Lohengrin et de Tristan und Isolde], il signe un spectacle très stylisé qui n’est pas ignorant de la culture chinoise. Les costumes, plus attendus, sont l’œuvre d’Amélie Haas, assistée d’Andrea Grazia. Marina Frigeni assure la reprise du spectacle. Un jeu d’escalier et de fosse résume l’activité du plateau, montrant les têtes tranchées des prétendants qui échouèrent, par exemple, ou encore la mort de Liu sur une rivière de sang. De part et d’autre de ce dispositif central, quelques éléments symboliques interviennent dans une sorte de rituel abstrait.

Turandot n’est pas du pur Puccini. Je ne fais pas allusion au fait que le compositeur toscan a laissé sa partition inachevée, mais aux influences qui l’ont habité pendant son travail. Nous n’entendons pas le même type d’orientalisme que dans Madama Butterfly, non pas que Japon et Chine soit de même nature, mais c’est plutôt Puccini qui change radicalement de procédés à la fin de sa carrière. Cela n’échappe pas à Marco Guidarini qui, au pupitre de l’Orchestra dell’Emilia-Romagna Arturo Toscanini, soigne un riche rendu de l’orchestration, sans couvrir les voix [lire nos chroniques d’Un ballo in maschera, Pour que les êtres ne soient pas considérés comme des marchandises, Achachilas, Salome, Turandot et Orphée et Eurydice]. La contribution efficace du Coro Lirico di Modena et du Coro del Teatro Municipale di Piacenza, préparés par Corrado Casati, contribue au succès de la représentation.

Le plateau vocal n’est pas en reste. Le ténor clair et très directionnel de Raffaele Feo sert parfaitement son Altoum, endurant et fiable. La grande basse verdienne Giacomo Prestia donne à Timour toute sa dignité, malgré un organe qui, aujourd’hui, accuse les ans dans une stabilité malmenée [lire nos chroniques de Nabucco, Aida, Ernani, I masnadieri, Macbet à Liège puis à Nice, enfin I due Foscari]. Le timbre envahissant et le chant très ample du baryton-basse Benjamin Cho sont ce qui nous est arrivé de mieux en Mandarin, vraiment [lire notre chronique de L’oracolo] ! Loin des caricatures et des pantomimes habituelles, les trois ministres forment une apparition inquiétante, joliment chorégraphiée. Pong est confié au ténor Matteo Mezzaro, vaillant dans toute la tessiture, excellent de justesse pour les ensembles, si redoutables [lire nos chroniques de Madame Sans-Gêne, Macbet à Parme, Enrico di Borgogna, Les vêpres siciliennes et Zoraida di Granata]. Le format vocal du ténor Saverio Pugliese dénote, face à ses confrères, dans la partie de Pang. Enfin, Ping est servi par le baryton piquant de Fabio Previati, de belle tenue. La souplesse du chant de Jaquelina Livieri est un bonheur ! Le soprano argentin livre une Liu généreuse et bouleversante. N’en déplaise à quelques jeunes gens du Paradis qui s’énervent qu’il ne fasse pas que brailler son Calaf, le ténor Angelo Villari donne une fort belle leçon de style, avec une conduite exemplaire de la voix et du drame [lire nos chroniques de La campana sommersa, Il trittico, Madama Butterfly et Il trovatore]. Bien que doté d’un soprano lyrique souvent spinto, Leah Gordon ne convainc pas dans le rôle-titre : la voix se perd, les tenues manquent de tonicité. Voilà une princesse ennuyeuse…

Demain sera un autre jour : après Venise, Bologne [lire nos chroniques de Maria Egiziaca et de Dido and Æneas] et Modène, je conduirai vers Gênes mardi matin. À suivre…

KO