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Chroniques
Ottorino Respighi
La campana sommersa | La cloche engloutie
À Bologne où il est né, Ottorino Respighi (1879-1936) aborde la musique par la pratique du violon, avec son père pianiste, puis avec Federico Sarti, ce qui l’autorise à travailler, quelques années plus tard, dans une fosse de théâtre à Saint-Pétersbourg. En Russie, il perfectionne son art de la composition, amorcé avec Giuseppe Martucci et Luigi Torchi, auprès de Nikolaï Rimski-Korsakov. Quoique sporadiques, leurs rencontres marquent profondément l’Italien qui, revenu sur ses terres, œuvre à concilier traditions latines et influences européennes (Strauss, Debussy, etc.), à travers des œuvres largement postromantiques.
Après avoir adapté une comédie d’Ercole Luigi Morselli, l’auteur de Belfagor (Milan, 1923) [lire notre critique du CD] conçoit La campana sommersa (La cloche engloutie) sur un livret de Claudio Guastalla. Ce dernier puise dans la pièce en vers éponyme de Gerhart Hauptmann (Die versunkene Glocke, 1897), fantaisie qui témoignait, chez son auteur, d’une respiration symboliste au sein d’une production largement naturaliste – la vie des prolétaires de sa Silésie natale – et qu’Heinrich Zöllner avait déjà mis en musique (Berlin, 1899). La composition occupe Respighi entre juillet 1926 et mars de l’année suivante. La création a lieu le 18 novembre 1927, au Stadttheater d’Hambourg. Les représentations suivantes seront newyorkaises (novembre 1928), milanaises (avril 1929), génoises (mars 1930), etc. avant une réduction du deuxième acte (celui concentré sur le monde des humains) pour Trieste (1934).
Quatre actes nous font suivre l’histoire d’Enrico, fondeur dont la dernière cloche vient d’être précipitée au fond d’un lac par un faune. Touchée par le désespoir de l’artisan, l’ondine Rautendelein rejoint, contre l’avis de ses semblables, le monde des humains et infiltre son foyer pour lui redonner confiance. L’amour naît entre celle qui devient sa muse et Enrico, lequel abandonne sa femme Magda avec un crédo : « je ne renierai pas ce qui me donne force et vie ». Au moment même où la cloche tinte au fond de l’eau, leurs enfants viennent annoncer au père le suicide de la malheureuse, qui s’est jetée dans le lac. Horrifié, Enrico quitte l’ondine qu’il ne reverra qu’au seuil de la mort.
Filmé au Teatro Lirico de Cagliari (capitale de la Sardaigne) au printemps 2016, cette production confiée à Pier Francesco Maestrini est attachante pour plusieurs raisons. La principale est que le metteur en scène nous plonge dans le conte du début à la fin, ne lésinant pas sur le décor sylvestre (Juan Guillermo Nova), les maquillages et costumes mythologiques (Marco Nateri) pour dépayser le public. Même l’épisode chez Magda et Enrico présente des meubles bancals sur terre battue, pour montrer une domestication imparfaite des forces naturelles. Pourtant, le Florentin suscite le merveilleux à partir d’éléments assez réalistes, sans abuser non plus de la magie vidéastique.
Valentina Farcas incarne Rautendelein avec souplesse et virtuosité [lire nos chroniques du 23 novembre 2010 et du 24 novembre 2011], à l’inverse d’Angelo Villari (Enrico), souvent tendu et peu nuancé. On aime Agostina Smimmero (Sorcière) au mezzo ample et profond, ainsi que le soprano expressif de Maria Luigia Borsi (Magda). Le trio d’elfes est équilibré, que forment Martina Bortolotti, Francesca Paola Geretto et Olesya Berman Chuprinova. Filippo Adami (Faune) s’avère vaillant et sûr [lire nos critiques de Fernando, re di Castiglia, L’Olimpiade, Arlecchino oder die Fenster, L’inimico delle donne et Il Giasone], et Thomas Gazheli (Ondin) bien sonore [lire notre chronique du 4 février 2014]. La basse Dario Russo (Prêtre) à une santé qui n’en fait pas le maillon faible du groupe formé avec Nicola Ebau (Instituteur) et Mauro Secci (Barbier), baryton et ténor efficaces. Sandro Meloni (Nain), Martino Corda et Letizia Puddu (Enfants) complètent la distribution.
L’orchestre, et le chœur maison auquel s’adjoint celui des Voci bianche del Conservatorio Palestrina di Cagliari, sont dirigés par Donato Renzetti, soucieux de faire scintiller toutes les influences qu’on soupçonne (Schreker, Puccini, etc.).
LB