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Chroniques
Il trittico | Le triptyque
opéra de Giacomo Puccini
Ma tournée d’automne en Italie s’achève dans la capitale de la Toscane où se donnent les trois actes que Puccini a écrit indépendants, sans songer à les assembler en une seule soirée, idée qui lui est venue a posteriori et s’est avérée heureuse. Auteur des costumes, décors, lumières et mise en scène, Denis Krief signe cette production dite nouvelle en trois étapes : la première de sa Suor Angelica eut lieu à Cagliari en mars 2018 tandis qu’en octobre de la même année naissait son Gianni Schicchi, la nouveauté étant à comprendre pour Il tabarro qu’il a révélé vendredi dernier. Ainsi le Teatro del Maggio Musicale Fiorentino peut-il offrir Il trittico au complet dont il dédie les représentations à l’enfant du pays, le baryton Rolando Panerai qui s’est éteint ici le 22 octobre dernier, quelques jours après son quatre-vingt-quinzième anniversaire.
Avec un seul dispositif, Denis Krief réussit ingénieusement à placer chaque acte dans le lieu convenu. Le dispositif scénique consiste en un jeu de panneaux mobiles qui s’agrémentent d’images propres à planter le décor. Le placement de ces murs ménage des ouvertures où l’on peut voir Paris comme une carte postale, le plateau se faisant alors la péniche à quai du Tabarro. Il se ferme complètement pour Suor Angelica, le cloître étant juste indiqué par une grille et la nudité ascétique du couvent mise en relief par les simples en pots, réunis sur la desserte à roulettes de la nonne guérisseuse. Retour à la lumière avec Gianni Schicchi : les panneaux s’ouvrent sur la bibliothèque d’un vieil érudit et une fenêtre qui donne sur le Ponte Vecchio. Dans ce cadre unique mais très malléable, Krief situe, grâce aux costumes, les trois ouvrages au XXe siècle. Passée cette scénographie, la mise en scène reste plutôt traditionnelle et la direction d’acteurs semble un peu imprécise. Le résultat est agréable, dans l’ensemble, mais sans emporter la salle par le vérisme du Tabarro qui survient dans une platitude frustrante, ni la bouleverser par le drame intime d’Angelica. On reste de même sur sa faim devant la farce de Dante qui fait par moment gentiment sourire, sans plus.
L’attention se reporte donc sur la teneur musicale du spectacle. Côté voix, les jeunes artistes de l’académie lyrique de la maison font bonne figure et satisfont tous dans les nombreux petits rôles du Triptyque. Comme d’habitude, on retrouve certains chanteurs distribués dans plusieurs moments de la soirée. L’excellente Anna Maria Chiuri, qui s’est fait une spécialité de la Principessa [lire nos chroniques des captations de Modène et de Milan], incarne une nouvelle fois avec sa parfaite autorité vocale ce personnage terrible auquel elle donne un phrasé luxueux [lire notre chronique de Norma]. On l’applaudit également dans la Frugola du Tabarro et la Tante cupide et nerveuse du troisième volet. La jeune Costanza Fontana offre un soprano agile à Suor Genovieffa et à Nella. Remarquée sur la scène locale il y a deux ans [lire notre chronique de Didone abbandonata], le mezzo-soprano Giada Frasconi se charge avec bonheur des parties de la Maîtresse des novices et de la Cuiesca, avec une intonation d’une justesse infaillible. Même sûreté pour le ténor Antonio Garés, Tinca de grande tenue puis Gherardo efficace. D’un timbre tendre à l’aigu bien amené, Dave Monaco livre un Rinuccio convaincant dont il a exactement l’âge ! En plus de moyens plus que prometteur, le ténor présente un chant cultivé qu’on retrouvera sans doute bientôt dans les grands rôles du répertoire. Enfin, les deux héroïnes du jour sont confiées au soprano uruguayen María José Siri : Angelica émouvante et de bon niveau, c’est d’abord et surtout en Giorgetta qu’elle brille de ses grandes qualités, avec un instrument habilement déployé [lire nos chroniques de Madama Butterfly, Attila et du Requiem de Verdi à Berlin et au Bregenzer Festspiele]. Parmi les voix à usage unique, il faut signaler le jeune mezzo-soprano russe Marina Ogii qui relève le gant d’une Abbesse bien chantante et souveraine. Trois hommes brûlent les planches. Le baryton basse Bruno De Simone compose un Schicchi irrésistible de sans-gêne avec la maîtrise d’un grand métier et un impact buffo très sonore [lire nos chroniques de Lo frate 'nnamorato, L’Italiana in Algeri, La forza del destino, Il barbiere di Siviglia et Che originali]. Luigi, le bouillant manœuvre amoureux de la patronne, est vaillamment défendu par Angelo Villari qui possède cette générosité vériste qu’on attend là. Dans le rôle du cocu meurtrier (Michele), Franco Vassallo est le triomphateur du jour, avec une prestation dominé par une technique infaillible et une présence formidable [lire nos chroniques d’I puritani, Lucrezia Borgia, Caterina Cornaro, Don Carlo, La forza del destino, Le trouvère (version française), Un ballo in maschera et Luisa Miller].
Chef rompu à l’exercice puccinien où il s’est beaucoup illustré, Valerio Galli dirige pourtant un Trittico très terne ; il n’y a guère que dans Gianni Schicchi que la fosse frémit d’un peu d’expressivité, alors que les deux premières parties sont d’une froideur ennuyeuse. Les voix des Coro et Voci bianche del Maggio Musicale Fiorentino font leur office, bien préparées par Lorenzo Fratini.
KO