Chroniques

par katy oberlé

Macbet | Macbeth
opéra de Giuseppe Verdi

Festival Verdi / Teatro Regio, Parme
- 11 octobre 2018
Vigoureux Macbeth, dans sa version originale, au Festival Verdi de Parme
© roberto ricci

Passée la surprise d’un Verdi buffo de jeunesse [lire notre chronique de la veille], retrouvons le Teatro Regio de Parme, initiateur du Festival Verdi, pour un grand titre du compositeur italien. Il faut pourtant bien regarder l’affiche : nous ne verrons pas l’habituel Macbet mais sa version originale pour Florence (Teatro della Pergola, 14 mars 1847). Nettement plus riche dramatiquement que la mouture parisienne de 1865, elle est aussi plus exigeante pour le rôle-titre et, en général, convoque une bravura déterminante chez les autres personnages, dès le deuxième acte. Cette redécouverte, essentielle pour tout verdien qui se respecte, est rendue possible grâce au précieux travail critique du musicologue David Lawton, édité par les Chicago University Press et Ricordi (Milan). Quelle chance de pouvoir entendre l’œuvre dans sa forme initiale et d’ainsi mieux mesurer ce qu’elle put avoir de novateur en son temps ! Certes, la facture pourra sembler moins aboutie, à certains moments, d’un caractère moins raffiné, mais cette brutalité intrinsèque répond mieux à l’inspiration shakespearienne.

En fosse, malgré la science indéniable des musiciens des Filarmonica Arturo Toscanini et Orchestra Giovanile della Via Emilia, Philippe Auguin convainc moins que d’habitude [lire nos chroniques de ses Otello, Madama Butterfly, Pelléas et Mélisande, Der Rosenkavalier et La damnation de Faust]. La tension est bien au rendez-vous, mais comme en alternance, ce qui laisse certains passages sur le bas-côté. Il manque à cette direction ce grain de folie, cette foi en des forces irrationnelles dont jouent et Shakespeare et Verdi : une rigueur raisonneuse, sinon intellectuelle au moins cérébrale, contient la représentation dans une dimension trop étroite dont on aurait aimé la voir sortir. En cela, l’option du chef ne travaille pas dans la même direction que la mise en scène, c’est dommage. Préparées par Martino Faggiani, les voix idéales du Coro del Teatro Regio di Parma livrent, en revanche, une performance remarquable qu’il faut saluer chaleureusement.

Confiée à Daniele Abbado [lire notre chronique de Nabucco], la nouvelle production parmesane offre une plongée abyssale dans le drame et ses noires ficelles. Jamais la scène ne s’autorise d’autre lumière (Angelo Linzalata) qu’un timide clair-obscur, très suggestif, quand ce n’est pas le seul reflet sur l’humidité d’un vêtement ou des bâches transparentes. L’espace est presque vide, laissant le camp à la passion et au crime, arrosés d’une bruine malsaine où apparaissent çà et là des figures d’au-delà. Cette lande de cauchemar est traversée par les costumes de Carla Teti, ceux de notre temps, tenues de soirée ou stricts uniformes de soldat. Principalement concentré sur le jeu, le travail d’Abbado utilise avec naturel cet univers de ténèbres.

Le plateau vocal s’inscrit magistralement dans cette mystérieuse alchimie. À commencer par le couple royal, vraiment terrible ! Apprécié l’an dernier en Lady Macbeth [lire notre chronique du 30 juin 2017], l’excellente Anna Pirozzi défend une nouvelle fois le rôle avec un engagement admirable. La férocité amoureuse du personnage se loge dans chaque phrase, chaque note, chaque mot. Loin de s’en tenir à la description par Verdi lui-même d’une voix laide, le soprano donne un incroyablement élan lyrique à sa partie, servi par une riche couleur du timbre. L’épaisseur du grave et un aigu foudroyant transmettent à merveille le bouillonnement intérieur de cette amoureuse infernale. Qui porte-t-elle ainsi ? Le Macbeth noir et violent de Luca Salsi qui, en grand habitué du rôle-titre, parfait encore son incarnation. La robustesse de cette voix [lire nos chroniques du 21 mars 2014 et du 28 juillet 2017] conjugue morgue et lâcheté, audace et frousse, dans un cocktail éprouvant et génial ! La puissance maléfique qui habite le chant durant la majeure partie de l’opéra se retire à la fin, laissant un Macbeth soudain humain, apeuré, émouvant et terrassé.

On retrouve une autre grande voix verdienne en la personne de Michele Pertusi [lire nos chroniques des 13 août, 11 juin et 20 mars 2018, 28 septembre 2017, 29 octobre 2016 et 18 novembre 2012]. La noblesse de l’émission, la puissance et la présence signent un Banco exemplaire. Le jeune Antonio Poli livre un Macduff élégant, Matteo Mezzaro donne un Malcolm très fiable [lire notre chronique du 19 juillet 2013]. Bravo, aussi, aux petits rôles, fort bien tenus par Alexandra Zabala, Adele Devanari, Giovanni Bellavia et Gabriele Ribis.

KO