Chroniques

par katy oberlé

Il trovatore | Le trouvère
opéra de Giuseppe Verdi

Festival Verdi / Teatro Girolamo Magnani, Fidenza
- 8 octobre 2022
"Il Trovatore", mis en scène par Elisabetta Courir au Festival Verdi 2022
© roberto ricci

Chaque édition du Festival Verdi quitte, pour une production, le Teatro Regio de Parme pour investir d’autres lieux de représentation. Aussi l’on se souvient d’avoir assister à des spectacles dans le bien nommé Teatro Giuseppe Verdi de Busseto, la commune englobant Roncole où, en 1813, naissait le compositeur [lire nos chroniques de La traviata, Un giorno di regno et Aida], mais aussi dans le somptueux Teatro Farnese de l’Argenta, au Palazzo della Pilotta [lire notre chronique de Stiffelio]. Plus inattendue encore avait été la programmation d’un opéra à l’église San Francesco del Prato [lire notre chronique de Luisa Miller]. Cette année, c’est à une vingtaine de kilomètre de Parme que l’on se rend pour voir Il trovatore dans une mise en scène déjà ancienne, puisqu’elle fut montée en 2016 pour le Regio.

Après avoir présenté au Farnese la version française de l’opéra (Paris, 1857) dans une réalisation de Bob Wilson [lire notre chronique du Trouvère], le festival revient à l’original romain de 1853, mais dans l’édition critique éditée par David Lawton chez Ricordi, et qu’il reprend cette fois derrière la jolie façade ocre du Teatro Girolamo Magnani de Fidenza, conçu dès 1813 par Nicola Bettoli – l’architecte qui œuvra huit ans plus tard à l’édification du Teatro Regio – et dont la construction ne commencerait qu’en 1831. Après qu’une violente tempête l’endommage en 1835, avant son achèvement, le livrant aux intempéries pendant plusieurs années, le projet reprend en 1848, le chantier s’étendant jusqu’au 26 octobre 1861, date de l’inauguration du lieu, sous le nom de Teatro Borgo San Donnino, par une représentation d’Il trovatore, justement. Il était revenu à Girolamo Magnani, peintre et décorateur natif de Fidenza, d’imaginer et de parfaire l’ornementation intérieure du bâtiment, ainsi que la scénographie du premier spectacle. Ce même Magnani, à qui l’on doit les peintures du Regio comme celles des théâtres de Brescia, Piacenza et Reggio Emilia, devient ainsi scénographe de Verdi pour lequel il signe les décors de la création d’Aida (Le Caire, 1871) et de nombreux autres événements verdiens. Après qu’il a rendu son dernier soupir (24 septembre 1889), la municipalité donne son nom au théâtre.

Au pupitre de la Filarmonica Arturo Toscanini, fondée à Parme il y a vingt ans, et réunie en petit effectif car la fosse n’aurait pas suffi à en accueillir tous les musiciens, Sebastiano Rolli [lire notre chronique de Rosmonda d’Inghilterra] mène une interprétation qui vaut pour sa ciselure et son énergie, loin des grands effets sonores. Si l’on est admiratif de la fine facture d’ensemble, on l’est moins de choix de tempi, souvent discutables. On retrouve le très bon Coro del Teatro Regio di Parma, dûment préparé par maestro Martino Faggiani, sans doute l’un des meilleurs chef de chœur d’aujourd’hui [lire nos chroniques d’Iphigénie en Tauride, Œdipe, Hamlet, Jérusalem, Falstaff, Giovanna d’Arco, Il prigioniero, Lohengrin, Macbet, La Gioconda, Le conte du tsar Saltan, I due Foscari et Simon Boccanegra]. La formation parmesane signe une lecture précise et enthousiaste, engagée scéniquement, qui convainc haut la main.

Ce Trovatore est tout de noirceur, avec les costumes noirs de Marta del Fabbro, l’obscurité étudiée de la scénographie de Marco Rossi et les lumières tranchées de Gianni Pollini. La metteure en scène Elisabetta Courir concentre son travail, à la fois minimaliste et symboliste – les lys blancs, par exemple – sur Leonora qui se souvient post mortem de son histoire, doublé par un double ajouté dont les interventions et les descriptions sont adroitement chorégraphiées par Michele Merola. De notre point de vue, ce flash-back ne fait pas sens et met trop à distance l’argument de l’opéra… sans compter sur des moments au caractère mystique trop revendiqué sans pourtant éviter l’écueil d’une mièvrerie certaine.

Si l’on se déplace jusqu’ici, c’est d’abord pour entendre de bonnes voix, distribuées à bon escient. Une nouvelle fois, le festival ne s’est pas trompé. Chuanqi Xu prête un baryton bien éduqué au Vieux Gitan. Le ténor brillant de Davide Tuscano, au phrasé prometteur, se charge des parties du Messager et du soldat Ruiz. Le chant toujours très musical du soprano Alida Ilaria Quilico fait bel effet en Iñes généreusement projetée. Le Capitaine Ferrando est confié à Alessandro Della Morte, basse au grain flatteur et à l’art irréprochable mais qui devra encore mûrir pour trouver crédit dans ce rôle. Quant à la Gitane Azucena, le mezzo-soprano albanais Enkelejda Shkoza l’incarne avec une facilité remarquable, malgré une relative fatigue que l’on perçoit dans la lâcheté du vibrato [lire notre critique de Guillaume Tell]. C’est un vrai bonheur que de découvrir la voix du jeune Szymon Mechliński en Conte di Luna ! Le timbre est riche, le souffle paraît inépuisable, l’émission naturelle et la projection souveraine, au fil d’une prestation où s’affirme un style idéalement belcantiste [lire nos chroniques de Madama Butterfly et de L’enchanteresse]. Avec ses immenses moyens, une inflexion dramatique de chaque instant, et une agilité surprenante à laquelle le format vocal ne vient pas faire obstacle, Anna Pirozzi est une Leonora des grands soirs [lire nos chroniques d’I vespri siciliani, Macbet et Manon Lescaut]. Passionnée et passionnante, son incarnation donne le frisson. Avouons être moins charmée par Angelo Villari, Trouvère s’exprimant trop en force, sans assez nuancer, et qui n’offre pas vraiment de contenu au rôle principal.

KO