Chroniques

par gilles charlassier

Macbet | Macbeth
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra de Nice
- 20 mai 2022
MACBET de Verdi à l'Opéra de Nice, par Daniel Benoin et Danielle Callegari
© dominique jaussein

Après le choix audacieux de réunir les forces de l’Orchestre Philharmonique de Nice au continuo de l’ensemble Les Paladins dans Phaéton de Lully [lire notre chronique du 23 mars 2022], l’Opéra de Nice referme sa saison avec une nouvelle production de Macbet, confiée à Daniel Benoin, lequel calibre également les lumières [lire nos chroniques de Madama Butterfly et de Don Giovanni]. Dans un décor de briques industrielles dessiné par Jean-Pierre Laporte, le drame de Verdi semble se souvenir du pari de Chéreau pour le Ring dans une élucidation du capitalisme au lendemain de la Grande Guerre dont la voracité, sensément parallèle avec celle du pouvoir du héros shakespearien, devrait inéluctablement mener au IIIe Reich. Pastiche de colorisation d’archives, la vidéo de Paulo Correia rappelle le traumatisme des tranchées et l’amitié gémellaire nouée entre Macbeth et Banco, dans une inspiration qui pourrait rappeler le roman de Pierre Lemaître Au revoir là-haut (Albin Michel, 2013) ou son adaptation cinématographique éponyme par Albert Dupontel (2017). Le chœur des sorcières emprunte à la dialectique sociale qui a vu les femmes faire valoir leur aspiration à davantage de reconnaissance, de droits et de libertés au lendemain du conflit mondial – auquel elles ont contribué en remplaçant à l’usine les hommes envoyés au front.

Mais si les costumes de Nathalie Bérard-Benoin contribuent à la datation de l’époque, la transposition ne cède pas à la linéarité narrative vers le fascisme. L’intérieur du palais contraste avec sa polyvalence de salon intime et de salle de réception, sans s’encombrer de suffisamment de réalisme pour éviter au meurtre de Banco de se dérouler entre les mêmes murs à peine réaménagés par la vidéo. Le parti pris du spectacle est sans doute ailleurs, dans une lisibilité un peu incertaine, à première vue. On retrouve l’espace laborieux pour la nouvelle prophétie de l’Acte III, mais le ballet semble oublier le bénéfice que des mouvements chorégraphiques pourraient apporter à une séquence vidée de toute substance dramaturgique. La chute de Macbeth, dont le cadavre est roulé à terre, renvoie au même geste du régicide face à la dépouille de Duncan trois chapitres plus tôt, dans une lecture qui ne tire qu’une partie des conséquences du choix de la version de 1874 (procédant de celle de 1865).

Dans le rôle-titre, Dalibor Jenis impose une incarnation tourmentée qui privilégie la vérité de l’expression au strict aplomb vocal [ire nos chroniques de Nabucco et de Macbet]. Son personnage se révèle complémentaire de la Lady Macbeth de Silvia Dalla Benetta, véritable figure de proue du plateau [lire nos chroniques de Manon Lescaut, Sakùntala, Zelmira et Moïse et Pharaon]. Fidèle aux intentions du compositeur, elle soumet l’orthodoxie technique à la charge émotionnelle et décline la complexité des motivations psychologiques de cette avidité pour le pouvoir – avec une sanction somnambulique moins saillante, vraisemblablement émoussée par la proposition scénique.

Giacomo Prestia affirme un solide Banco, avec un timbre dont l’onctuosité et la maturité consommées résument une pertinente bonté meurtrie [lire nos chroniques de Nabucco, La sonnambula, Aida, Ernani, I masnadieri, Macbet et I due Foscari]. Samuele Simoncini fait valoir un bronze insolent en Macduff, qui ne perdrait rien à être un peu dompté, tandis que Davide Astorga ne manque pas de vigueur en Malcolm. Marta Mari ne néglige pas l’intervention de la Servante, quand celle du Docteur revient à la pondération de Geoffroy Buffière [lire notre chronique d’Hémon].

Les apparitions du domestique, du sicaire et du messager, ainsi que celles des fantômes sont prises dans les effectifs du Chœur et du Chœur d’enfants de la maison, qui, au fil de la soirée, gagnent en assurance sinon en précision, jusqu’à un puissant Patria oppressa. Quant à la direction de Daniele Callegari [lire nos chroniques de I quattro rusteghi, de Carmen, Ernani, Ariane et Barbe-Bleue, Il trovatore, Un ballo in maschera et I Lombardi], elle s’attache d’abord à l’impact théâtral, dans un nuancier expressif toujours dynamique, à défaut de raffinements compassés qui ne sont certes pas le lot primeur de la partition.

GC