Chroniques

par irma foletti

Les vêpres siciliennes
opéra de Giuseppe Verdi

Teatro Massimo, Palerme
- 25 et 26 janvier 2022
À Palerme, Emma Dante met en scène "Les vêpres siciliennes" de Verdi
© rosellina garbo

La metteuse en scène palermitaine Emma Dante est de passage dans sa ville natale pour régler Les vêpres siciliennes, en coproduction avec les théâtres San Carlo de Naples, le Comunale de Bologne et le Real de Madrid. Contrairement à l'agitation souvent débordante et permanente de nombre de ses précédents spectacles [lire nos chroniques de Macbet, Cavalleria rusticana et L’ange de feu], les tableaux sont ici davantage posés, en correspondance avec la gravité du propos. Le traitement s'éloigne en effet du livret original d'Eugène Scribe et Charles Duveyrier, qui décrit la cruelle domination française sur la Sicile puis la révolte finale des Siciliens, les oppresseurs étant ce soir les membres de la mafia. Le défilé initial des étendards aux visages des victimes ne laisse pas de doute, Paolo Borsellino en tête qui figure le frère assassiné d'Hélène, aux côtés, entre autres, de Giovanni Falcone, les deux juges antimafia ayant été tués dans des attentats en 1992, à deux mois d'intervalle

L'action est située symboliquement sur la Place Pretoria où se trouve le Palais Pretorio, siège de la mairie de Palerme. La fontaine centrale est reconstituée, en modifiant de manière originale les statues, avec des têtes d'animaux sur les corps humains. L'époque est actuelle, comme en témoignent les brochettes qu'on fait griller, les burgers qu'on prépare et les bières qu'on vend. Tout irait pour le mieux si ce n'était l’irruption, en fin de premier acte, de trois musiciens (contrebasse, clarinette et accordéon) pour interpréter un peu de la partition du ballet du troisième acte, pendant que des tas d'ordures et d'encombrants (frigos, meubles en mauvais état, etc.) sont déversés au pied de la fontaine... rideau ! Après le premier entracte, le premier tableau de l’Acte II est dépouillé et marque les esprits, quand Procida chante son grand air suspendu dans une barque, tandis qu’en fond de plateau des femmes se lavent les cheveux dans des bassines et les essorent à grands coups de tête, dessinant ainsi de jolis mouvements d’eau.

Mais comme on le redoutait, la demi-heure de ballet du troisième acte est malheureusement réduite à cinq minutes. Imagine-t-on, par exemple, les amateurs de la Danse des heures de La Gioconda de Ponchielli (ballet rendu célèbre par le film Fantasia de Disney) se satisfaire de quelques extraits interprétés par trois musiciens ? Et le tripatouillage de la partition ne s'arrête pas là : à la fin du IV, quelques mesures en sont jouées, pour enchaîner directement sur la Scène 2 du V avec la sicilienne d'Hélène. Disparue, donc, la charmante ariette du ténor Henri, La brise souffle au loin – pas de contre-ré ce soir –, les coupures représentant au total près de quarante minutes. C'est bien dommage pour cet ouvrage au format typique du grand opéra français en cinq actes, créé à l'Opéra de Paris en 1855. D'autant que la direction d'Omer Meir Wellber donne de grandes satisfactions. Sous la conduite du directeur musical de la maison, l’Orchestra del Teatro Massimo di Palermo montre une belle application, avec, en particulier, de magnifiques cordes et des bois dynamiques qui donnent un grand souffle à plusieurs passages.

Nous avons l'opportunité d'entendre les deux distributions alternant au cours des deux dernières représentations de la série de cinq (première distribution entendue le 26 janvier et seconde le 25). Le grand point de faiblesse de l'ensemble est, comme pressenti, la prononciation du texte, aucun francophone ne figurant parmi les solistes. Mais il faut remercier le Teatro Massimo d’offrir les surtitres français, bien utiles pour qui ne connaît pas de mémoire le livret.

Le rôle d'Hélène exige de grandes qualités. Le soprano Maritina Tampakopoulos (25) s'en tire avec panache dans les moments les plus dramatiques, une douceur de timbre dans ses lentes cantilènes et l’abattage nécessaire à la sicilienne Merci, jeunes amies. Elle forme un couple très investi avec Giulio Pelligra (Henri), ténor vaillant qui claironne son aigu et se montre beaucoup plus discret dans le grave. En première distribution, Selene Zanetti est aussi une Hélène de choix, aux somptueux piani et trilles aigus, mais son Henri déçoit fortement : un Leonardo Caimi certes plus central de tessiture, au vibrato développé, à l'aigu plus serré et bien moins épanoui que celui de son confrère. Les deux barytons amènent de plus grandes satisfactions. Le premier soir, Gezim Myshketa (Montfort) fait entendre une élocution de qualité, un beau grain noir convenant à ce rôle de méchant, malgré un petit déficit de volume. Son grand air du III, Au sein de ma puissance, est l'un des meilleurs moments de la soirée, mettant son long souffle au service d'un legato soigné. Lui succède le lendemain Mattia Olivieri, plus jeune et dégageant davantage de puissance sur toute l'étendue ; il mène lui aussi une élégante ligne de chant. La basse Fabrizio Beggi (Procida) semble, en revanche, pousser au maximum son instrument, se trouvant en sérieuse difficulté, de rythme en particulier, et constituant le point de faiblesse de la seconde distribution. On lui préfère Luca Tittoto, au creux plus profond dans le grave, qui lui permet de détailler et de donner un grand relief à Et toi, Palerme, ô beauté qu'on outrage. Les morceaux rassemblant plusieurs de ces protagonistes forment aussi des moments vocalement excitants, comme le quatuor de l'Acte IV ou le long trio Hélène/Henri/Procida du suivant.

Pas d'alternance pour la plupart des rôles secondaires, où se distinguent les voix joliment timbrées des ténors Matteo Mezzaro (Thibault) et Francesco Pittari (Danieli) aux côtés de la basse Alessio Verna (Robert), ainsi que Pietro Luppina (Mainfroid), Gabriele Sagona (Vaudemont), Carlotta Vichi (Ninetta) et du rôle de Béthune (tour à tour Andrea Pellegrini et Ugo Guagliardo). On apprécie aussi le vigoureux Coro del Teatro Massimo, ainsi que les chorégraphies réglées par Manuela Lo Sicco, entre tarentelles et break dance.

IF