Chroniques

par bertrand bolognesi

Georg Friedrich Händel | Acis and Galatea, little-opera HWV 49
Valerio Contaldo, Mark Milhofer, Staffan Liljas, Julie Roset, Fabio Trümpy, etc.

Orchestre Philharmonique de Radio France, Leonardo García Alarcón
Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 21 mai 2022
Leonardo García Alarcón joue "Acis and Galatea" de Georg Friedrich Händel
© dr

Selon une habitude prise ses dernières saisons, Leonardo García Alarcón se produit aujourd’hui en l’Auditorium de la Maison de la radio et de la musique non pas avec sa Cappella Mediterranea mais à la tête d’une quinzaine de musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, dans une configuration baroquisante sur instruments modernes dont la couleur est adroitement épicée par des saveurs de flûtes à bec et par la présence de l’archiluth, en sus de deux clavecins et d’un positif. Dès l’exquise souplesse de la Sinfonia, respirée sans heurt en un flux inspiré, s’impose la belle idée d’avoir placé les trois contrebasses en angles stratégiques, enveloppant ainsi le tutti de leur profonde aura. On admire les parties de hautbois, souverainement réalisées.

Le chœur pastorale O the pleasure of the plains surgit dans une urgence efficace, à l’impédance fort bien soignée. On goûte l’impact avantageux du soprano Ana Vieira Leite [lire notre chronique de La morte d’Abel], l’alto chaleureux et musical de Leandro Marziotte [lire notre chronique de Rodrigo], ainsi que la rassurante autorité du baryton-basse Matthieu Heim [lire notre chronique de La serva padrona], de même que les ténors Fabio Trümpy et Valerio Contaldo auxquels sont également confiés des rôles solistes. Extrêmement raffiné, le jeu de répons à cinq voix (avec échos à l’ancienne) bénéficie d’une approche élégante et soigneusement équilibrée, pleine d’esprit, que l’on apprécie dans Wretched lovers, le délicat choral d’ouverture du second acte, qui inscrit le futur dénouement de l’œuvre dans une dimension sacrée. À la fugue, si caractéristique du génie händélien, succèdera Mourn, all ye muses, weep, all ye swains, déploration quasiment religieuse. À la mort du jeune berger sicilien, les passages a cappella, dolents à pleurer, ravissent l’écoute dans le drame, ce que prolonge habilement l’imitation instrumentale qui s’ensuit.

Lorsque le public prend place, il découvre un plateau dont l’intimité est minutieusement soulignée par un vague nuage de fumée. C’est dans ce climat particulier que le chef argentin [lire nos chroniques du 10 octobre 2008, du 27 avril 2011, du 9 juillet 2013, des 25 janvier et 15 décembre 2015, des 30 juin et 16 septembre 2016, des 25 janvier et 9 juillet 2017, des 27 septembre et 13 décembre 2019, du 25 septembre 2020, enfin du 16 février 2021] ouvre la fête, ambiance semi-scénique propre à dramatiser le concert. De fait, c’est en traversant la salle que le chœur envahit le plateau. Une lumière violette donne à l’entrée du cyclope sa part de mystère horrifique, confirmée par la fuite des chanteurs. Encore le monstre remonte-t-il les gradins après avoir mortellement blessé son rival en amour.

Pour cette exécution qui passionne, dans le prolongement de l’interprétation déjà ancienne de l’œuvre par Leonardo García Alarcón au Festival d’Aix-en-Provence [lire notre chronique du 16 juillet 2011], cinq solistes vocaux font merveille. Ainsi de Fabio Trümpy, ténor tout de souplesse et de charme qui magnifie l’air de Coridon, Would you gain the tender creature [lire notre chronique de Reigen]. Ainsi encore de Staffan Liljas, basse méphitique à souhait qui propulse tour à tour l’émoi sentimental, le dépit et la rage de Polyphemus dans des roulements d’R fort bien venus. La facilité confondante du chant sert somptueusement O ruddier than the cherry comme Cease to beauty to be suing, grâce à une palette expressive idéale. On retrouve le ténor incisif de Mark Milhofer en Acis satisfaisant, souvent gracieux, malgré des récitatifs un rien malaisés [lire nos chroniques de La Cenerentola, Tito Manlio, Neues vom Tage, Punch and Judy, Schneewittchen et Der Besuch der alten Dame]. En revanche, ses arie jouissent d’un grand souffle et d’une tendresse inouïe. Enfin, la saine fraîcheur du timbre et l’agilité du chant du jeune soprano Julie Roset ne fait qu’une bouchée de la partie de Galatea [lire notre chronique du 3 juillet 2021]. Dans As when the dove, l’évidence de la ligne et un aigu comme offert font d’emblée oublier l’écriture assez périlleuse. Fragmenté par le chœur à la manière des Passions de Bach – le choral To kinkred Gods the youth return, en conclusion du numéro, appuie plus encore cette parenté –, la lamentation Must I my Acis still bemoan révèle un instrument qui obéit parfaitement à l’artiste.

Oh non, nous ne l’avons pas oublié : c’est à garder le meilleur pour la fin que la chronique n’évoqua pas encore l’excellent Damon de Valerio Contaldo ! Dès le quintette choral, le ténor est remarqué pour l’infaillibilité de l’intonation et la souplesse de l’émission. Avec Shepherd, what art thou pursuing, la musicalité infiniment cultivée de son chant est bénédiction à elle seule, quand le da capo s’avère totalement foufou. Passé l’exploit d’une ornementation rococo jubilatoire, l’irrésistible douceur qu’il ménage à Consider, fond shepherd font de cette aria l’un des sommet de la soirée – un artiste à suivre, assurément !

BB