Chroniques

par bertrand bolognesi

Michelangelo Falvetti
Il diluvio universale | Le déluge universel, oratorio

Cappella Mediterranea, Chœur de Chambre de Namur, Leonardo García Alarcón
Arsenal, Metz
- 25 janvier 2015
Il trionfo della morte, Palerme, Palazzo Sclafani, XVe siècle
© dr | il trionfo della morte, palazzo sclafani (palerme)

Depuis quatre ans, de salle en salle, Leonardo García Alarcón et sa Cappella Mediterranea ainsi que le Chœur de Chambre de Namur donnent un oratorio jusqu’alors oublié d’un compositeur tout autant méconnu, le Calabrais Michelangelo Falvetti. À la faveur d’une carrière sicilienne, Falvetti créait en 1682 à Messine Il diluvio universale (livret de Vincenzo Giattini) où il a mêlé, à travers une facture toute personnelle, la tradition héritée du Romain Carissimi à une inspiration plus épicée qui, outre d’intégrer une imprégnation farouche dans un sud à la religiosité violente, tenta de réinventer une musique des temps bibliques, si l’on peut dire, des sonorités orientales infiltrant une manière de péplum.

Dès le prélude instrumental, la respiration de l’orchestre s’impose large et tendre, mais encore inspirée, comme d’une solennité « naturelle ». Et voilà que le contralto Evelyn Ramirez Muñoz, robe et voix de ténèbres bleutées, surgit du public : Cedi Pietà, non mi resister più !, la Justice Divine demande réparation des offenses et des péchés. Un véritable rituel s’enchaîne, durant près d’une heure et quart. La voilà rejointe par les quatre éléments, descendus des gradins de l’Arsenal pour détruire toute vie sur la terre. Au caractère populaire de ce chant sombre répond une écriture vive qui décoiffe et propulse en contrée plus superstitieuse que dévote. L’aria de l’Eau inquiète par sa tournure démesurément ornementale, le soprano Magali Arnault Stanczak gonflant le flot du dire comme un débordement.

Après cette première partie au Ciel, la Terre est d’emblée évoquée par la couleur particulière de l’udu, bientôt rehaussée par la harpe et les luths. Juste avant la tourmente, Rad et Noé se déclarent leur amour. On retrouve avec plaisir le ténor clair et velouté de Fernando Guimarães et la voix très présente, à l’expressivité presque intrusive, de Mariana Flores [lire notre chronique du 10 octobre 2008], tous deux dans une inflexion dolente. Avec ce couple voué au déluge survient une théâtralité de procession funèbre, dans un duetto développant un entrelacs mi-religieux mi-amoureux, troublante impiété bigote bénie de suite par un chœur caressant. Comme tremblant des enfers, l’orgue annonce l’intervention du Très-Haut : d’une basse sûre, Matteo Bellotto condamne l’humanité. Offese vendicatevi ! – on en aurait peur… Noé tente de fléchir la sévérité de Dieu, au fil d’un recitativo contrarié par une harmonie génialement instable ; il n’en sort qu’une sorte de terrible traité de clémence ou de clémente promesse de destruction : du diluvio universale seront seulement sauvés cette femme et cet homme auxquels reviendra la tâche de repeupler le monde une fois les eaux descendues. Et la tempête va son cours !

Sur la danse du zarb – les percussions sont magistralement tenues par Keyvan Chemirani – apparaît la Faucheuse, lourdement grimée. Vaillantes, les voix wallonnes chantent le désespoir et l’imminente disparition, sur des trombones méphitiques. Au Palazzo Sclafani de Palerme, dont Falvetti fut maître de chapelle à la cathédrale, une fresque du XVe siècle, dont on ne connaît l’auteur, célèbre Il trionfo della morte [photo]. Maquillée d’un effroi tragicomique, la haute-contre Fabián Schofrin virevolte son méchant rituel, jouant sur les ruptures entre appui de poitrine et falsetto avant que d’aller cueillir ses proies. Sur des trombes d’apocalypse, le chœur E chi mi dà aita ? laisse s’élever le cri, terrifiant, jusqu’à l’interruption de tout discours, le mot « morte » soudain noyé dans l’immersion des gosiers. D’un aigu lumineux, Caroline Weynants tente une dernière fois de contredire un consort de violes nauséeux : non, la Nature Humaine, dans son angélique culpabilité, doit choir, un point c’est tout. La mort s’en rit encore ! Apritemi il varco : Ouvrez-moi le chemin, la voix se livre allègrement en sacrifice. Après un chœur recueilli, la morbide ritournelle bat son plein : au darf succède son maléfique tambourin : Ho pur vinto d’un mondo intiero : J’ai vaincu le monde entier, pérore son infernale tarentelle. Nous sommes bien en terre sicilienne, si fréquemment explosive (l’Etna jamais ne s’est éteint, rappelez-vous), où exorciser le danger en rend la proximité plus supportable.

On connaît la fin de l’histoire. Arc-en-ciel du pardon et louange sereine élèvent une dernière partie, à l’élégance confiante. Saluons les voix du Chœur de Chambre de Namur, tous les solistes, mais encore chaque musicien – chaque trait instrumental, de quelque pupitre que ce soit, est réalisé avec grâce – pour cette interprétation ô combien généreuse.

BB