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Chroniques
Elena | Hélène
dramma per musica de Francesco Cavalli
Lumière fauve (Christian Dubet), décor léger et imprécis qui favorise de multiples changements rapides (Laure Pichat), composition ciselée des personnages, un rien de sentiment pour un peu de gaudriole, il fallait bien ça pour représenter Elena de Cavalli, ouvrage oublié depuis sa création vénitienne, il y a quelques trois cent cinquante-quatre ans ! Jean-Yves Ruf ne s’y trompe pas, qui livre une mise en scène enjouée, à la fraîcheur inventive. Ici jamais le trait n’est forcé, par même dans des commentaires et tribulations bouffonnes dont la grivoiserie n’est pas surlignée. On voit une production qui équilibre les caractères avec simplicité sans omettre des échappées poétiques – comme l’incroyable danse du ventre des ours charmeurs de chasseurs, par exemple.
Les nombreux rôles à peupler cette Elena bénéficient d’une distribution jeune qui fait merveille (certaines voix firent partie de l’Académie européenne de musique). Le contre-ténor généreusement projeté de Christopher Lowrey transmet aisément la joie mauvaise de La Discordia, mais aussi les atermoiements moins accusés d’Euripilo. Majdouline Zerari campe d’un riche mezzo-soprano une Verita impérative et une Eurite d’une franche humanité. Pace plus terne, Anna Reinhold (mezzo léger) donne un Menesteo de saine facture, quand Brendan Tuohy est tour à tour Diomede et Creonte, d’assise solide. La basse américaine Scott Conner impose un timbre coloré par une émission expressive à Nettuno puis à Tindaro, le vieux roi amoureux. Enfin, le ténor Emiliano Gonzalez Toro, souvent entendu au fil des festivals et concerts baroques, investit d’une verve des plus théâtrales la partie d’Iro (bouffon de Tindaro), à la fois irrésistiblement drôle et vocalement efficace.
Le coin des amoureux – entreprenants, plein d’espoir, transits, découverts, déçus, etc. – n’est pas en reste, avec le Teseo clair de Fernando Guimarães et l’Ippolita incisive de Solenn’ Lavanant Linke, mais encore le très attachant Peritoo de Rodrigo Ferreira, alto onctueux et musical qui occupe le plateau comme personne. D’abord déguisé en lutteuse afin de pouvoir approcher Elena, Menelao (Ménélas) est enlevé avec elle ; ainsi travesti, « Elisa » fait battre le cœur et les sens du gentil Peritoo, ne révélant son sexe qu’au final, lorsque la situation politique se solutionne. Imaginez une voix à l’inflexion étonnamment angélique, un contre-ténor au physique fin, ayant à prendre vêture féminine sans pour autant donner à croire quelque féminité que ce soit : le défi n’est pas mince ! À Innsbruck l’été dernier [lire notre chronique du 14 août 2012], nous entendions Valer Barna-Sabadus ; il est ce soir un Menelao d’une simplicité inespérée, portée par un chant de grande tenue qui ne se limite pas à la maîtrise mais construit plus haut une incarnation admirable. Également abordée dans la capitale tyrolienne l’an dernier où elle était une remarquable Poppea [lire notre chronique du 16 août 2012], la voix agile du soprano Emőke Baráth se révèle idéale en Elena, servie par un art fascinant.
Cette recréation, nous la devons tant à l’initiative du Festival d’Aix-en-Provence qu’aux recherches passionnées menées par Leonardo García Alarcón, claveciniste et chef baroque qui déjà pratiqua beaucoup la musique de Cavalli. À la tête de sa Cappella Mediterranea, le musicien argentin dessine soigneusement les caractères et soutient minutieusement les voix, brosse l’action et fait rayonner les affects, sans céder à la tentation d’un brio trop livré.
BB