Chroniques

par gilles charlassier

Cappella Mediterranea
Chœur de chambre de Namur

Clematis, Leonardo García Alarcón
Salle Gaveau, Paris
- 15 décembre 2015
le jeune Leonardo García Alarcón dirige un programme baroque latino à Gaveau
© dr

À en juger par la floraison de programmes ces dernières années, le baroque espagnol est désormais bien en cour. Le spicilège Carmina latina que propose Leonardo García Alarcón avec quatre solistes de la Cappella Mediterranea – Mariana Florès, Leandro Marziotte, Emiliano Gonzalez Toro et Matteo Bellotto, certains noms n'étant pas inconnus des scènes lyriques – aux côtés du Chœur de chambre de Namur et de l'ensemble Clematis, ne se contente pas d'un simple assortiment de couleurs ou d'affects ? et met l'accent sur le métissage entre profane et sacré que le corpus hispanique développa au fil des conquêtes sud-américaines.

La soirée s'ouvre par un Hanacpachap anonyme à quatre voix, office en langue amérindienne annonciateur d'exotismes qui ne s'affadit jamais dans le pittoresque : les saveurs témoignent toujours d'un évident sens de la forme. Le Romerico florido de Matheo Romero (c.1575-1647) offre un exemple de pastorale lumineuse et rythmée, exaltée par Mariana Florès. Le Salve Regina à huit voix a capella de Juan de Araujo (1646–1712) contraste par sa polyphonie sobre et dense, moins austère cependant que celui de Tomás Luis de Victoria (c.1548-1611), au siècle précédent (XVIe), interprété un peu plus tard. Cette vaste page d'une dizaine de minutes emprunte son vocabulaire à la solennité religieuse et savante, irradiant ici d'un sentiment profond dénué de componction. On retrouve peu après le musicien mort en Bolivie en 1712 dans une exubérante et étourdissante ¡Vaya de gira – belle alchimie entre science et matériau populaire à laquelle Leonardo García Alarcón rend justice.

La complainte A Belén me llego de Gaspar Fernández (c.1565-1629) anoblit d'accents cuivrés une description de la Nativité d'une touchante simplicité, avant l'épure du Desvelado dueño mío à cinq voix de Tomás de Torrejón y Velasco (1644-1728). Émigré au Pérou, le compositeur livre avec A este sol peregrino un exemple de porosité entre les registres, enrichi de percussions aux sonorités vernaculaires. La collégialité fervente et allante du Magnificat de Francisco Correa de Araujo (1584-1654) précède l'« ensalada » La Bomba éminemment théâtrale de Mateo Flecha (1481-1553) : le naufrage qu’elle narre évoque l'écriture descriptive d'un Janequin contemporain. Dans cette même veine, la Salga el torillo de Diego José de Salazar (c.1660-1709) conclut le concert de manière roborative.

Éloquente preuve de l'absence d'esprit de chapelle des interprètes, les bis constituent un aperçu de l'Amérique latine musicale d'aujourd'hui, étrangère aux querelles d'avant-garde. Mariana Florès ressuscite le mélancolique Alfonsina y el mar d'Ariel Ramírez (1921-2010) et Félix Luna (1925-2009), évocation du suicide de la poétesse Alfonsina Storni (1892-1938) immortalisée par Mercedes Sosa (1935-2009), tandis qu'Emiliano Gonzalez Toro fait vibrer La flor de la canela de Chabuca Granda (1920-1983).

GC