Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Luca Quintavalle
Finzi – Goubaïdoulina – León – Mamlok – Mochizuki – etc.

1 CD Brilliant Classics (2022)
96476
Le claveciniste Luca Quintavalle joue dix compositrices

Après un fort beau double CD paru chez le même éditeur discographique [lire notre critique], le claviériste italien Luca Quintavalle nous revient avec cet album consacré à dix compositrices d’aujourd’hui, au fil d’œuvres directement conçues pour le clavecin et d’autres d’abord écrites pour le piano puis transcrites quelques années plus tard (cette chronique suit l’ordre chronologique de composition). En 1987, l’Étasunienne Ursula Mamlok (1923-2016), née à Berlin puis exilée dès l’âge de quinze ans au cœur de la tourmente nazie, répond à une commande de la musicienne Nancy Garniez d’une œuvre à jouer avec la Suite en la mineur Z.663 de Purcell par trois pages très brèves, Three Bagatelles, qui jouent avec les habitus du répertoire baroque dans un style sériel à l’expressivité concentrée. Very calm, la pièce médiane, plonge l’écoute sur la corde, littéralement, quand Playful, la dernière, l’invite dans sa riche complexité. D’Augusta Read Thomas, née à Long Island (USA) en 1964, nous découvrons Fire Waltz – Homage to Béla Bartók, initialement pour piano (1996) adaptée au clavecin en 2022. Il s’agit d’une variation de la première de ses Six Études pour piano, intitulée Orbital Beacons, dont convaincla densité rythmique.

Quelques semaines avant la prochaine édition du festival caennais Aspects des musiques d’aujourd’hui qui célébrera son art (du 21 au 26 mars 2023), nous apprécions ici la Française Graciane Finzi (née en 1945, à Casablanca) à travers Espressivo (1996) qui, écho d’un célèbre opus de Chopin (Prélude en la mineur Op.28 n°2, 1835-39), salue Élisabeth Chojnacka (1939-2017) à laquelle il est dédié. Une partie fixe, dans un tempérament contrarié, s’adjoint à ce que joue l’interprète, créant une aura intrigante [lire nos chroniques du 15 avril 2013 et du 15 février 2019]. De la compositrice tatare Sofia Goubaïdoulina [lire nos chroniques de Chaconne, Concerto pour alto, Offertorium, Quatuors à cordes, Kadenza, Musical toys, Die Pilger et Quasi hoquetus], les préoccupations métaphysiques surviennent avec Ritorno perpetuo (1997) qui recourt aux mathématiques (Suite de Fibonacci) dans le souvenir de modes ancestraux – une analyse détaillée de l’œuvre par Luca Quintavalle lui-même figure dans la notice du disque. Avec Louis’ Loops, la Britannique Errollyn Wallen (né au Bélize en 1958) dédiait à son filleul, en 1999, un joyeux collage en friand pastiche classique et baroque. Créé non loin d’Innsbruck, au festival Klangspuren de Schwaz (Autriche), en septembre 2003 par l’excellent Nicolas Hodges, Moebius-Ring de Misato Mochizuki (Tokyo, 1969) gagne, en passant du piano au clavecin (2022), un impératif constant, voire autoritaire, où se perd sa subtilité de dynamique. Il nous faut avouer lui préférer sa version originale, plus proche, en ce qu’un autre aspect que la seule forme s’en échappe, du talent de la musicienne [lire nos chroniques d’Ima koko, Écoute, Terres rouges, Intermezzi, Taki no shiraito, L'Heure bleue, Musubi, Etheric Blueprint Trilogy, Quark II, Nigredo, Pas à pas et Intrusions, ainsi que notre entretien de 2007].

Passant vite sur le très obstiné Tumbáo (2005, transcription de 2022) de la Cubaine Tania León (La Havane, 1943), Impressions (2015) de la compositrice islandaise Anna Þorvaldsdóttir (Reykjavik, 1977) fascine par son exploration très personnelle de l’instrument, par un investissement fort inventif qui révèle nombre de saveurs inattendues. Dès lors, c’est tout un territoire qui se dessine, où l’on se laisse ravir. Il n’en va guère de même du très long Mira (2018) de la Lettone Santa Ratniece (Jelgava, 1977) qui regarde les étoiles avec une machine à remonter le temps – c’est tout le mérite de la proposition de Quintavalle : présenter la musique d’aujourd’hui sans prendre parti pour telle esthétique plutôt que telle autre ; le lecteur voudra bien nous pardonner de ne pas toujours réussir à l’y suivre. L’opus le plus récent de l’album est celui de l’Allemande Karola Obermüller (Darmstadt, 1977), achevé l’an dernier et commencé en 1998.Suite des femmages est dédié à la mère de la musicienne ainsi qu’à l’audacieuse compositrice nord-américaine Ruth Crawford Seeger (1901-1953), trop tôt disparue [lire notre chronique du 8 novembre 2012]. L’énergie insistante de ce quatrain drastiquement condensé conjugue son matériau au sein de chaque partie (Tolling, Thundering, Piercing, enfin Fast).

BB