Recherche
Chroniques
récital Mei Yi Foo
Chin – Goubaïdoulina – Ligeti
Née en Malaisie mais Londonienne d’adoption, la pianiste Mei Yi Foo collabore avec de nombreuses formations anglaises (English Chamber Orchestra, London Chamber Orchestra, BBC Concert Orchestra) sans oublier de jouer à travers le reste le monde, de Lucerne à Hong Kong, d’Helsinki à Istanbul. Elle aime aussi défendre la musique de chambre et l’art de son temps, comme le prouvent ses collaborations avec Chris Harman (né en 1970), Richard Baker (1972), Dai Fujikura (1977) et tout particulièrement Unsuk Chin, présente dans ce programme qui l’associe à Goubaïdoulina et Ligeti.
Créées le 18 novembre 1969 à Sundsvall (Suède), les onze pièces de Musica ricercata appartiennent à la période hongroise de György Ligeti (1923-2006), écrites de 1951 à 1953, entre l’arrivée à Budapest dès la fin de la guerre, pour étudier puis enseigner à l’Académie Ferenc Liszt, et la fuite à Vienne, après l'échec de la révolte anti-communiste (1956). Il n’a pas encore rencontré Stockhausen et Boulez ; pour lui l’avant-garde a pour nom Bartók, un musicien largement stigmatisé sous la domination stalinienne – « seules les œuvres les plus simples étaient alors jouées », précise l’auteur du Grand macabre [lire notre critique du DVD], dont les propres pièces d’inspiration non-folklorique « étaient interdites d’exécution, parce que trop modernes, trop dissonantes, trop chromatiques » (in György Ligeti, Minerve, 1995). Clairement, la neuvième section du cycle rend hommage à l’aîné, mort à New York en 1945, tandis que l’ultime célèbre les innovations de Frescobaldi (1583-1643) dans les contrepoints du ricercare, ancêtre de la fugue. Ce cycle seul suffit à rendre compte des qualités de Mei Yi Foo, laquelle domine les moments les plus ardus avec décontraction et simplicité, toujours dans un grand sens de la nuance et du relief.
Ligeti présentait son deuxième mouvement comme « un coup de poignard dans le cœur de Staline », un tyran dont Sofia Goubaïdoulina (née en 1931) eut aussi à souffrir. Contrainte de cacher ses productions les plus personnelles, l’ancienne élève du conservatoire de Moscou travaille pour le cinéma, aux musiques moins contrôlées. Cependant, comme on la joue de plus en plus à l’étranger au cours des années soixante-dix, l’État reproche à la compositrice trop indépendante de défendre une avant-garde bien peu réaliste-socialiste. L’arrivée de la Perestroïka va tout changer pour la créatrice de Musical toys, collection de quatorze pièces pour pianoconçue en 1969 et créée dans son intégralité aux États-Unis, en 1993 – on sait la musicienne friande de sons inédits, tels ceux issus d’un bayan [lire notre critique du CD]. Les titres annoncent bien souvent une page martelée (The magic smith, The woodpecker, Sleigh with little bells, etc.) ou, au contraire, plus éthérée, voire debussyste (April day, The elk clearing). Dans ce cahier d’esquisses, notons enfin celles qui associent musique et nature, sans que l’on puisse deviner quel climat sera développé (The trumpeter in the forest, Song of the fisherman, Forest musicians, etc.).
La Coréenne Unsuk Chin (née en 1961) est de plus en plus jouée en Europe, où elle suit l’enseignement de Ligeti, entre 1985 et 1988, à l’académie de musique de Hambourg. Si Berlin lui offre une résidence au Berliner Philharmoniker (2001-2002) et Munich la création de son opéra Alice in Wonderland (2007) [lire notre chronique du 14 juin 2010], Paris aussi fait connaître son travail à de multiples occasions [lire nos chroniques du 15 avril 2011, des 9 et 10 octobre 2015, puis 27 et 28 novembre 2015]. Enregistré pour la première fois, les Six études pour piano furent d’abord cinq, écrites entre 1995 et 2000, avant d’être révisées et complétées en 2003 pour une création tokyote. Une prise de son soignée met en relief précision et tonicité de l’interprète dans ces moments virtuoses.
LB